De nouvelles rencontres attendent notre chevalier... Bonnes, ou pas ?

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Ils continuèrent pendant plusieurs heures, la matinée laissant bientôt sa place à l'après-midi, et parvinrent bientôt à une rivière enjambée par un pont de pierre.
Une petite troupe d'une vingtaine d'hommes venaient à leur rencontre, par une route venant du Nord-Ouest.
Leur équipement était pour le moins hétéroclite : Vouges, épées, piques, arcs... Complété par des brigandine et de grossières cottes de maille.
Hétéroclite... Et de mauvaise qualité.
Ils étaient menés par un cavalier arborant une armure de cuir clouté. Une épée longue de bonne facture battait son flanc, sûrement d'acier trempé. Il ne portait pas de casque, et laissait voir son visage enjoué, mangé par une barbe fine et bien taillée.
Le combattant en tête le héla :
- Salutation, voyageur ! Vers où vous dirigez vous ainsi ?
- Lordas. Répondit Quelric en freinant sa monture.
- Hé bien en voilà une chance ! Moi et mes hommes allons nous aussi à la capitale ! Voudriez-vous vous joindre à nous ?
- Cela serait plus sûr.
- Fort bien ! S'exclama le cavalier en se mettant à la hauteur de l'épéiste. Venez.
Les deux hommes se remirent donc en route, la vingtaine de soldats les suivant.
L'homme inspectait du regard l'armure de l'épéiste, qui ne prêtait pas attention à son regard admiratif.
Le tabard, qui lui était inconnu, attira son intérêt.
- Votre blason ne me revient pas en mémoire... Peut-être une famille m'étant inconnue.
- Il n'est issu d'aucune famille noble. Corrigea le chevalier.
- Pourtant vous êtes chevalier. Les chevaliers sont des nobles...
- Chevalier n'est qu'un rang, je suis épéiste.
- Épéiste ?
- Membre de la Confrérie des Épéistes. Répondit Quelric en tournant la tête vers lui.
- Vous en faites partie ? Demanda le capitaine, surpris. Je n'en ai eu que de vagues échos, et n'ai jamais croisé un seul de vos compagnons d'arme. Que faites-vous si loin de votre place-forte ?
- Mon maître m'a envoyé en mission en ces terres. Je dois trouver votre roi et lui prêter main forte dans cette guerre.
- Chevalier... Soupira t-il. Je ne doute en aucune façon de vos qualités de guerrier, mais je doute qu'un homme seul puisse renverser la situation de la sorte.
- Ce conflit semble en effet tourner en votre défaveur...
- C'est le cas, chevalier. C'est le cas... Accorda t-il en soupirant.
Il détacha son regard de son heaume, et pencha son regard vers le tabard, à nouveau.
Un rictus soupçonneux déforma son visage alors qu'il demanda :
- Soldats ?
Quelric planta un regard dur mais interrogateur dans le sien, méfiant.
- Ces hommes que vous avez tués, étaient-ils des soldats ?
- Ils le furent.
- Avant que vous ne les fassiez passer de vie à trépas ? Gronda t-il.
- Avant qu'ils ne désertent.
Les dents du capitaine se desserrèrent, alors que la pression exercée par ses mâchoires cessait.
Son regard était confus.
De honte, il baissa la tête. Il avait diffamé sans connaître la vérité, avait porté des accusations hâtives, sans même chercher à comprendre les faits.
- Déserteurs... Se désola t-il. Ce genre de marauds se fait de plus en plus courant, ces temps-ci...
- C'est logique : la guerre entraîne la désertion, même du côté des vainqueurs.
- Nous ne sommes pas vainqueurs ! S'exclama t-il avec une voix étouffée, comme pour ne pas être entendu par de tiers personnes autres que le chevalier.
- Alors il est d'autant plus normal d'avoir des déserteurs.
Le cavalier était profondément perturbé, il semblait avoir oublié le poids de cette guerre dont l'issue semblait inéluctable... Et fatidique.
- Il nous faudrait une intervention divine pour arracher une victoire de la débâcle qu'est ce conflit...
- Avoir autant de soldats dans vos rangs qu'en maraude suffirait amplement.
- Détrompez-vous, épéiste, nos hommes sont pour la plupart loyaux.
- Vous vous contredisez.
Le capitaine soupira.
Méthodique et aux paroles aussi précises que vraies, l'étranger opposait une forte résistance dans ce débat qui ne pouvait aboutir qu'a une conclusion : La guerre était sans aucun doute déjà perdue.
Le chevalier ne dit pas un mot de plus, le capitaine, lui, acquiesça en silence et sans aucun geste.
Ils poursuivirent leur chemin sur la route de terre battue, creusés par endroit par les roues des caravanes ou les sabots des chevaux, bordée de grandes prairies, aucun champ n'était visible, ni aucune bâtisse... Tandis qu'à l'Est, un sinistre panache de fumée s'élevait.
Ils détournèrent leur regard de ce funeste signe, et continuèrent leur route, sans se laisser perturber, la journée s'écoulant, laissant bientôt place à la nuit, qui tomba alors qu'ils n'étaient qu'a une lieue du village suivant.
Un dernier effort aurait suffit à parvenir à la communauté, mais les soldats, exténués par leur longue marche, exigèrent de se reposer. Leur capitaine, laxiste, accepta.
Il s'arrêtèrent près de la route, et installèrent leurs sacs de couchage autour d'un tas de branches sèches sur lequel s'affairait un vougier.
- Les gars, interpella leur capitaine, nous allons nous relayer pour les tours de garde. Deux hommes à la fois, la relève toutes les trois heures.
- Turgal en premier ! S'exclama un piquier.
- Non ! Contesta l'intéressé, un épéiste. Je suis déjà passé hier ! Pourquoi pas toi ? Ca fait une semaine que t'as pas pris ton tour de garde !
- Peut-être, mais c'est moi qui m'occupe des repas depuis que nous sommes partis !
- Tu appelles ça des repas ? Un ragoût à la bouse d'autroch serait meilleur !
- Tu veux que je t'en fasse manger, de la bouse d'autroch ?
- On se calme ! Les interpella leur chef. Je prendrai moi-même le premier tour.
- Merci capitaine ! S'exclamèrent un par un les hommes rassemblés.
Le soldat, lui, tentait toujours d'allumer le feu... Sans succès.
Il frappait un couple de pierre l'une contre l'autre, espérant faire jaillir des étincelles aptes à enflammer le bois sec, pour faire du tas de branches un feu apte à agréablement chauffer les corps des hommes ... Mais, pour l'instant, seul l'espoir réchauffait son cœur.
Le chevalier, voyant le combattant en difficulté contre un monceau de branches, extirpa de son sac sa boîte d'amadou et sa pierre à aiguiser. Il déchira un petit morceau de la matière inflammable, puis rejoint le soldat.
Il tendit une main ouverte, une paume creuse.
L'homme le regardait d'un homme intimidé, puis tourna son regard vers ses deux éclats rocheux. Il déposa l'un d'elle dans la paume du chevalier ; celui-ci la frappa de sa pierre à aiguiser, et fit jaillir une gerbe d'étincelles, minuscules projectiles orangés, telles de petites flèches de feu, qui se plantèrent dans l'amadou déposé à terre et l'embrasèrent.
La proie des dévorantes flammes fut saisi par une tenaille de métal, deux doigts d'acier qui le jetèrent dans le bois, qu'il infecta de son mal ardent.
En guise de remerciement, le soldat hocha la tête avec un sourire forcé.
Tonnerre s'approcha du cheval du capitaine, et, l'imitant, brouta l'herbe.
Il renifla longuement, habitué au foin, aux grains de blé et aux pommes, mais finit par accepter ce qu'il considérait comme un repas de fortune, ainsi qu'une marque de savoir-vivre envers son confrère équidé, visiblement moins raffiné.
Le « cuisinier » de la troupe installa une petite marmite, dans laquelle il prépara un brouet épais, un ragoût... Paradoxalement, peu ragoûtant.
La bouille, guère plus avenante qu'une fermière obèse et purulente, fut servie dans des écuelles de bois que les soldats avaient sortis de leur sacs. Grimaçants de dégoût, ils avalèrent difficilement leur repas.
A l'écart, assis dos contre une roche, Quelric découpa un petit morceau de son comté, bien et fait et à l'arôme aussi explosif que savoureux, à l'aide d'un petit couteau aiguisé, couplé à une viande séchée coriace mais salée et goûteuse.
Les soldats discutaient, tantôt entre eux, tantôt à voix basse, en jetant de brefs coups d’œils à l'épéiste.
Le capitaine, lui aussi loin de ses hommes, aiguisait sa lame, les crissements métalliques, réguliers et lent, se mêlaient au bruissement des conversations, et aux concerts de grillons et de chouettes, et détendait petit à petit la troupe, lui faisant oublier sa longue et rude marche passée... Ainsi que celle à venir.
Un à un, les hommes se couchèrent. Le feu était toujours allumé pour le veilleur, seul adversaire de Mayoel.
Il tourna un regard intrigué au guerrier armuré.
- Chevalier ? Demanda t-il. Ne dormez-vous pas ?
L'interrogé ne tourna pas la tête, mais ses yeux le firent. Ils plantèrent un regard vide d'émotions dans celui de son interlocuteur, avant de le retourner dans le vague.
- Pas ce soir.
- Vous devriez, pourtant. Demain, la route sera longue.
Le chevalier se tût, coupant court à une discussion encore naissante. Mais le capitaine ne désirait pas passer une nuit silencieuse, avec pour seuls bruits les chants solitaires des prédateurs nocturnes.
- Vous m'avez dit que vous alliez à Lordas... Mais pourquoi être parti seul ?
- Mon maître l'a ordonné. Je dois régler la dette qu'il a envers votre roi.
Les bruissements du métal s'étaient ralentis. Ils ponctuaient chaque fin de phrase, comme si, dans le langage du métal, ils voulaient signifier "point final'.
- Quelle dette ?
- Il ne m'en pas informé.
- Vous foncez donc tête baissée sans connaître la raison de votre bourlingage ? Interrogea t-il, étonné, en arrêtant son bruyant va-et-viens sur la lame.
- Tel est mon devoir.
Le capitaine opina du chef, avec l'air contemplatif d'un homme regardant un œuvre d'art. Trop fier pour sembler admiratif, mais pas assez pour cacher son intérêt.
- Quel est votre nom ? Dit-il en reprenant son activité.
- Quelric.
- Enchanté, Quelic. Je me nomme Paltir.
Le chevalier resta muet, comme indifférent.
Le capitaine était quelque peu mal à l'aise : Soit le chevalier restait coi, soit il répondait méthodiquement, et ses paroles, telles celles sans âme d'une machine, ne laissaient aucune place à une autre question, fermant les conversations aussi vites qu'elles étaient ouvertes.
- Vous êtes peu loquace, n'est-ce pas ?
- Je ne parle que lorsque c'est nécessaire.
- Voilà qui est sage. On écoute plus l'homme qui parle peu que celui qui parle trop.
- En certaines occasions, éviter les bavardages improductifs peut être profitable.
- C'est pourquoi la plupart se taisent en présence d'un puissant noble, la menace de se faire décapiter au premier mot de travers évite d'abuser desdits mots ! Ricana doucement Paltir.
- Vos nobles son loin d'êtres dignes avec leurs gens.
Le capitaine soupira... Le chevalier n'avait décidément peur de rien, mettre les pieds dans le plat ne le gênait absolument pas, et ce n'était pas pieds nus qu'il marchait dans la soupe, mais les jambes bottées et bardées d'acier !
- En effet... Je voudrait pouvoir changer cela. Mais j'ai bien peu d'influence, à mon humble niveau.
L'épéiste opina du chef.
- Vous ai-je dit la raison de notre voyage à Lordran ?
- Non.
- Voyez-vous, nos forces sont éparpillées à travers le royaume entier. En cette situation, une riposte efficace nous est impossible, seule l'unité pourrait nous donner l'avantage, mais nos troupes ne sont que des poches de résistance vites détruites. Aussi le roi désire rassembler toutes les forces indépendantes du royaume pour préparer la contre-attaque.
- Troupes indépendantes... Seriez-vous un mercenaire ?
- Par les Treize, non ! Je ne suis que le fils du seigneur de Kerdiv, le duc Sovern de Kerdiv.
- Et vous n'avez que vingt hommes sous votre commandement ?
- Ils sont ma garde. Je doit rejoindre mon père, puis repartir pour Lordas, à la tête de son armée.
- Ne peut-il pas mener lui-même son armée ?
Il se fait vieux, la guerre est un sport trop intensif pour son âge avancé.
- J'ai connu des vieillards aux portes de la grabatisation, et qui étaient pourtant encore à même de brandir leur épée pour pourfendre des bandits.
- Certes, mais à son âge s'ajoute la maladie. Un mal terrible le ronge, lui donnant fièvre, migraines et nausées...
- Vous ne lui prodiguez aucun soin ?
- Notre apothicaire fait tout ce qui est en son pouvoir pour soulager sa douleur... Mais mon père se meurt, grandit inexorablement la maladie en lui.
Les deux hommes se turent.
Paltir jeta un coup d'oeil à ses hommes, profondément assoupi.
Rêveur récidiviste, il scruta la campagne, enveloppée dans le noir linceul de la nuit.
Puis, soudainement, il lui sembla distinguer une forme obscure, la silhouette d'un cavalier, immobile.
Pensant d'abord à un tour de son imagination, il finit par s'attarder sur cette supposition apparemment sans matière.
Plissant les yeux, le regard perçant, il parvint finalement à distinguer la noire entité, ainsi que sa monture.
Il restait à l'écart, immobile, et le frisson parcourant l'échine de Paltir indiqua à ce dernier qu'il les observait, lui et l'épéite.
Quelric ?
Le chevalier répondit en tournant la tête vers le capitaine.
- Vous voyez ce que je voit... ? Demanda ce dernier en pointant du doigt l'ombre nocturne.
Le veilleur armuré dû longuement longuement insister, et poussa ses yeux à un grand effort pour finalement parvenir à apercevoir la noire silhouette.
- Il semble seul...
- … Il l'est. Pourquoi ne vient-il pas ?
- Soit c'est un voyageur préférant la solitude, soit...
- … Soit c'est un éclaireur.
Les deux hommes se concertèrent du regard.
Ils se levèrent, l'arme à la main.
Si il voulait les voir, autant qu'il aie une meilleur vue sur eux.
Vue qu'ils allaient gracieusement leur offrir.
Le supposé éclaireur, voyant leurs mouvements, donna un violent coup de rênes, et s'enfuit. Sa forme indistincte fut rapidement happée par la nuit et ses ténèbres.
- Pas de doutes, c'était bel et bien un éclaireur. Déclara Paltir, grognant entre ses dents, le regard inquiet et empli de verve.
Il y a donc des ennemis non loin... Restons sur nos gardes, chevalier, l'adversité est proche. Je sent déjà le putride fumet du combat emplir mes narines.
- Je croise les doigts pour que votre pressentiment se révèle faux, Paltir. Répondit Quelric en rengainant sa lame.
- Vous m'excuserez, compagnon, mais j'ai peu confiance en l'hypothèse d'une défaillance de ma part. Appuya Paltir, avec un sourire en coin.
Les deux hommes se rassirent.
Quelric jeta un regard à son cheval, et constata que celui-ci dormait paisiblement aux côtés de celui de Paltir.
Il décida d'imiter son destrier, et s'allongea, son torse armuré toujours sur contre la roche.
- Bonne nuit, Quelric. Lui souhaita le capitaine.
Le chevalier répondit d'un regard constituant à lui seul toute une énigme : Voulait-il dire « Merci. » ou « Et alors ? ».
Il ne pris pas le loisir de le questionner, évitant ainsi une réaction exaspérée de la part de l'épéiste, même si un tel scénario aurait peu de chances de se produire, au vu du caractère de Quelric, plus stoïque que la roche sur laquelle il reposait.
Ce dernier s'endormit rapidement, laissant le capitaine veiller seul, avant que celui-ci ne parte réveiller deux de ses hommes, pour le remplacer.
Au petit matin, le chevalier fut réveillé par les rires des soldats.
Il se leva, et jeta un regard panoramique au campement.
Les soldats avaient déjà rangés leur sacs de couchage, et réunis autour d'un feu ayant été, toute la nuit durant, ravivé par les veilleurs, préparaient leur petit-déjeuner.
Paltir s'était joint à eux, et participait aux conversations, mais la moitié de son esprit était occupé par un problème qu'il préféra taire à ses hommes.
L'épéiste chevalier s'approcha de sa monture, caressa sa robe de bronze cuivré, avant de détacher le sac de vivre.
Il en sortit un aliment, et s'adossa contre le flanc de son destrier, tout en croquant le légume orange.
Le bruit, semblable à celui d'un terrible et carnassier dragon, écrasant et broyant sous ses terribles mâchoires les os des guerriers qu'il avait massacrés, réveilla en sursaut l'équidé, qui, les yeux écarquillés, dressa les oreilles.
Tonnerre tourna la tête vers la source du bruit, et contempla son cavalier. Il eu un bref soupir.
Une carotte.
Il osait manger une carotte sous son nez, sans même lui en donner le moindre morceau.
De la provocation à l'état pur...
Il s'imaginait déjà de faire chuter d'une ruade ce félon sans vergogne, quand celui-ci lui tendit un panache de plumes vertes qu'il happa d'un coup de dent.
La fane, c'était déjà mieux que rien, pensa t-il en la mâchonnant... La ruade attendrait.
Les soldats, eux, avalaient difficilement leur infâme potée, ne se donnant même pas la peine de réprimer leur dégoût, et le laissant éclater par des rictus écœurés.
Le soldat chargé de la cuisine, un dénommé Lars, répondait à ces offenses par des haussements d'épaule agrémentés d'une mine renfrognée, presque blessée.
A la fin de leur repas, le cusinier nettoya ses ustensiles, et les rangea dans son paquetage avant de jeter un plein seau d'eau sur le feu, qui mourut instantanément, sans aucun soubresaut.
Paltir se leva, et exhorta ses soldats à l'imiter. Ceux-ci remballèrent leurs duvets, et se remirent en route.
Quelric flatta le flanc de sa monture, qui se leva, puis se hissa sur sa selle, à l'instar de Paltir.
Les deux cavaliers se retrouvèrent donc en tête, la vingtaine de soldats, rafraîchis par leur nuit de sommeil, marchant dans leurs traces de sabots.
Le chevalier, comme à son habitude, ne dit mot, et resta d'un froid de glace.
La matinée se déroula sans heurts, les accrocs de la guerre semblaient épargner cette région reculée de la ligne de front, et aucune silhouette ne se montra... Hostile comme amicale.
Le soleil était à la moitié de sa course quand les soldats parvinrent à un petit hameau, où ils espérèrent trouver leur pitance.
Alors qu'il pénétraient dans la petite communauté, un sentiment d'angoisse les saisit.
Le village était vide.
Complètement vide.
Volets clos, portes fermées... Pas un seul signe de vie n'émanait des habitations, pourtant en bon état.
Paltir avait un certain pressentiment, bien moins lugubre que celui de ses hommes.
Il mit pied à terre, et contempla l'église du village. Regardant l'horloge du clocher, il déclara :
- Une heure du déclinant... Il est normal que nos gens se soient retirés.
Il se tourna vers ses hommes, pointant du doigt l'édifice :
- Voilà où il se trouvent ! S'exclama t-il, un léger sourire aux lèvres.
- Bon sang ! Rugit un soldat.
- Aneld ?
- Comment peuvent-ils avoir la tête a ces balivernes en temps de guerre ? S'indigna t-il, son jeu de main frustré parlant autant que ses mots.
- Ne blasphémez pas, soldat.
- Pardonnez-moi, sire. S'excusa t-il, regagnant un semblant de calme, tout en gardant une voix irritée. Mais ce genre de pratiques improductives me font saillir les veines !
- Mon cher... Je ne pense pas que ce soit les mœurs, tout à fait louables, de nos gens, qui t'offusquent, mais ton ventre gargouillant.
Le soldat, au sourire pincé, eut un lent hochement de tête.
- Alors que faisons-nous ? Les offices perdurent jusqu'à deux heures, et...
Coupant court aux questions des soldats d'un lever de paume, il questionna Quelric.
- Ami épéiste, vous qui êtes si professionnel, que préconiseriez-vous ?
Le chevalier réfléchit quelques instants avant de déclarer avec assurance.
- Nous ne pouvons nous permettre une trop longue pose, une heure est excessif. Plus vite nous parviendrons à Kerdiv, plus vite l'armée sera réunie, et la guerre gagnée.
Un murmure se fit entendre.
Paltir, fulminant, se tourna vers le chuchoteur, et vociféra :
- Pardon ? Ai-je mal entendu ?
L'archer, pris sur le vif, sursauta, et se recroquevilla derrière son arc, les jambes tremblotantes.
- Rien messire ! Je n'ai absolument rien dit !
Un chat avait-il offert ses oreilles au capitaine ?
- Que je ne te reprenne plus à déblatérer des paroles aussi défaitistes. Elles sont mauvaises pour le moral, en plus d'être vides de sens.
- Bien messire, je ne recommencerai plus.
- J'espère. Dit il en se mettant en selle.
Il fit signe à ses soldats de continuer leur route.
Malgré leurs ventres rugissant tels des lions aussi affamés que les estomacs en question, la troupe reprit sa route.
Le soleil entama sa retombée en cloche dans le ciel, et bien souvent, les soldats réclamèrent une pose que le capitaine, raffermi par le regard involontairement inquisiteur du chevalier, n'offrit pas.
La froideur de l'épéiste semblait déranger les hommes, qui évitaient le contact. Cette attitude laissait Quelric indifférent. Il n'était pas là pour tailler bavette, mais pour accomplir sa mission, bon-gré mal-gré !
La nuit tombant, il parvinrent à un second village, bien plus consistant que le premier.
Il était composé d'une cinquantaine de chaumières, de champs affiliés à un moulin à vent, une église, ainsi qu'une auberge, ce qui n'était pas pour déplaire aux hommes, assoiffés, affamés et exténués.
C'est avec un grand soulagement qu'ils passèrent les portes de l'édifice.
La gorge sèche, leur estomacs gargouillant, ils s'installèrent à la hâte.
- Tenancier ! Héla Paltir. Viens-donc servir notre troupe ! Mes soldats et moi même avons jeûné toute la journée durant !
- Messire Paltir. Répondit l'aubergiste en s'inclinant. Vos désirs sont des ordres.
Approuvant d'un hochement de tête, le capitaine fit signe à ses hommes de s'installer, ce qu'ils firent, occupant cinq tables à eux seuls.
Les autres clients étaient impressionnés, voir tétanisés par cette troupe vagabonde, qui semblaient avoir peu de considération pour leurs pauvres âmes.
La première tournée vit la mort de vingt et un cruchons d’hydromel… Et la seconde, la désertion des villageois encore présent dans l’auberge, et qui ne voulaient pas tâter du soldat ivre.
Alors que les hommes dégustaient ladite tournée, l’un d’entre eux, encouragé par les essences de l’alcool, se leva, et, d’une voix aussi mélodieuse que celle d'un troll :
- L’ennemi nous éviscérons !
Le capitaine reprit en chœur
- Par l’épée nous le passerons,
Les soldats, ravis, se concertèrent du regard, et se joignirent aux deux hommes.
- Sans pitié ni rémission !
- Non, nous ne sommes pas des mercenaires !
Nous, on se bat pour la terre mère !
Par le feu et par le fer,
Et s’il le faut, jusqu’en enfer !
Mais avant de repartir à la guerre,
Servons-nous une dernière bière !
Le cœur réchauffé par l’hymne , la troupe éclata de rire, puis se tourna vers le soldat, instigateur de l’agression auditive, et scandèrent en frappant les tables de leur chopes.
- Lève le coude ! Lève le coude !
Celui-ci, les yeux ronds, haussa les épaules, un air d'idiot ahuri sur son visage, et but d’une traite sa chopine.
- Pas étonnant que l’on t’appelle « Large Gueule » ! S’exclama le capitaine.
De nouveaux éclats de rire ébranlèrent la taverne.
La nuit se poursuivit, les chopines se vidaient, se remplissaient, pour se vider à nouveau, l'alcool embrumait les esprits et trahissait les sens.
Bientôt, Paltir dû envoyer à l'extérieur, en espérant que l'air frais dissiperait les vapeurs alcoolisées qui le désorientaient.
L'ambiance dans la taverne, elle, se dégradait à vue d'oeil, sous le regard de Quelric, d'une noire froideur... Des soldats saouls sont souvent synonymes de problèmes...
L'un d'entre eux claqua sa main poisseuse sur le fessier de la serveuse, fille du tenancier.
… Et ceux-ci tombaient souvent sur les fleurs délicates que sont les jeunes femmes désirables.
- Laissez-donc cette pauvre demoiselle tranquille... Pensez à vos femmes, vos enfants... Les réprimanda Paltir...
Mais un sourire étira le coin de ses lèvres à la fin de sa phrase.
- … Ah, j'oubliais : Vous n'êtes pas mariés.
Des rire gras emplirent la taverne... Les soldats étaient bien tous les mêmes.
Le coureur de jupons aviné passa son bras autour des hanches de la jeune femme, tétanisée, et la serra contre lui, joue contre son flanc.
- Pourquoi s'alourdir de la même vieille carne jusqu'à la fin de sa vie, alors qu'on peut chaque jour avoir mieux que la veille ?
La pauvre hère semblait choquée, désemparée... Elle redoutait ce qu'il allait se passer, et cette pensée, cette vision d'horreur la paniquait. Elle jeta un regard suppliant à son père, qui, impuissant, baissa le regard.
- Laissez-la en paix.
La voix du chevalier était autoritaire. Une voix calme, mais dure, une voix charismatique, qui écrasa de son poids les ardeurs des soldats. Le capitaine lui-même n'osa dire mot.
L'homme lâcha sa « proie », et s'excusa platement auprès d'elle pour sa conduite.
La jeune femme, les yeux pétillants de joie , s'approcha de l'épéiste, et lui adressa une maladroite révérence.
- Sire... Je ne sais comment vous remercier, je...
- Ne vous laissez plus abuser de la sorte.
- J'aimerai pouvoir... Mais je ne suis pas une guerrière, je n'oserai résister à ces hommes, ce qu'ils me feraient subir serait pire encore que si je m'étais laissé faire.
Quelric acquiesça intérieurement... Il avait oublié ce détail : Elle n'était pas une consœur, mais une simple paysanne que la nature avait maudite d'un trop jolis minois.
- Alors faites attention à vous... Et évitez de revenir dans cette salle ce soir, laissez à votre père la corvée du service.
La serveuse s'inclinant en minaudant un léger remerciement, puis s'éloigna, une légère rougeur aux joues.
Paltir se leva d'un pied hésitant, et s'approcha du chevalier, puis posa sa main sur son épaule armurée.
- Camarade... Une boisson, pour te rafraîchir ?
- Non, merci.
- Allez, je vous en prie... Pourquoi ne pas boire une petite bière avec un compagnon de route ? Détendez-vous, bon sang !
Quelric se retourna et subitement, agrippa l'épaule de Paltir, le tirant vers lui, son oreille à une vingtaine de centimètres de son heaume. L'étreinte n'était pas ferme, ni brutale.
- Dois-je vous rappeler qu'hier soir, nous avons aperçu un éclaireur ? Et hostile, qui plus est ? Au lieu de vous saouler et d'essayer de besogner une serveuse, vous feriez mieux de penser à l'ennemi qui rôde dans les parages.
Les yeux écarquillés, le voile alcoolique les couvrant ayant subitement disparu au profit d'un regard angoissé. Couvrant sa main de sa bouche, il lâcha difficilement :
- L'éclaireur... Je l'avais oublié...
- Vous avez oublié une telle menace ? Est-ce vous qui devrez commander à deux milliers d'hommes ?
- Ne me jugez pas trop sévèrement, épéiste. Interjeta le capitaine d'une voix sèche.
- Au vu de la situation, je pense être en droit de le faire. Si vous voulez devenir un général, vous devriez gagner en rigueur.
- Que savez-vous du commandement ?
- Assez pour savoir qu'un général si ivre qu'il en oublie l'ennemi fait rarement un bon tacticien. Vous ne semblez pas être de ceux qui dérogent à la règle.
Paltir baissa les yeux... Quelric n'avait pas tort.
Quel général ferait-il ?
Le soldat maudit son infortune.
Alors que tous se saoulent et festoient, il est là, seul dans l'église, juste en dessous de la cloche...
Il frémit : Le vent est glacial, ce soir.
Dans l'ombre, il lui semble voir une silhouette se découper...
L'archer, interloqué, scrute plus attentivement encore la pénombre.
Ses yeux s'ouvrent subitement, écarquillés...
Une petite troupe d'une vingtaine d'hommes venaient à leur rencontre, par une route venant du Nord-Ouest.
Leur équipement était pour le moins hétéroclite : Vouges, épées, piques, arcs... Complété par des brigandine et de grossières cottes de maille.
Hétéroclite... Et de mauvaise qualité.
Ils étaient menés par un cavalier arborant une armure de cuir clouté. Une épée longue de bonne facture battait son flanc, sûrement d'acier trempé. Il ne portait pas de casque, et laissait voir son visage enjoué, mangé par une barbe fine et bien taillée.
Le combattant en tête le héla :
- Salutation, voyageur ! Vers où vous dirigez vous ainsi ?
- Lordas. Répondit Quelric en freinant sa monture.
- Hé bien en voilà une chance ! Moi et mes hommes allons nous aussi à la capitale ! Voudriez-vous vous joindre à nous ?
- Cela serait plus sûr.
- Fort bien ! S'exclama le cavalier en se mettant à la hauteur de l'épéiste. Venez.
Les deux hommes se remirent donc en route, la vingtaine de soldats les suivant.
L'homme inspectait du regard l'armure de l'épéiste, qui ne prêtait pas attention à son regard admiratif.
Le tabard, qui lui était inconnu, attira son intérêt.
- Votre blason ne me revient pas en mémoire... Peut-être une famille m'étant inconnue.
- Il n'est issu d'aucune famille noble. Corrigea le chevalier.
- Pourtant vous êtes chevalier. Les chevaliers sont des nobles...
- Chevalier n'est qu'un rang, je suis épéiste.
- Épéiste ?
- Membre de la Confrérie des Épéistes. Répondit Quelric en tournant la tête vers lui.
- Vous en faites partie ? Demanda le capitaine, surpris. Je n'en ai eu que de vagues échos, et n'ai jamais croisé un seul de vos compagnons d'arme. Que faites-vous si loin de votre place-forte ?
- Mon maître m'a envoyé en mission en ces terres. Je dois trouver votre roi et lui prêter main forte dans cette guerre.
- Chevalier... Soupira t-il. Je ne doute en aucune façon de vos qualités de guerrier, mais je doute qu'un homme seul puisse renverser la situation de la sorte.
- Ce conflit semble en effet tourner en votre défaveur...
- C'est le cas, chevalier. C'est le cas... Accorda t-il en soupirant.
Il détacha son regard de son heaume, et pencha son regard vers le tabard, à nouveau.
Un rictus soupçonneux déforma son visage alors qu'il demanda :
- Soldats ?
Quelric planta un regard dur mais interrogateur dans le sien, méfiant.
- Ces hommes que vous avez tués, étaient-ils des soldats ?
- Ils le furent.
- Avant que vous ne les fassiez passer de vie à trépas ? Gronda t-il.
- Avant qu'ils ne désertent.
Les dents du capitaine se desserrèrent, alors que la pression exercée par ses mâchoires cessait.
Son regard était confus.
De honte, il baissa la tête. Il avait diffamé sans connaître la vérité, avait porté des accusations hâtives, sans même chercher à comprendre les faits.
- Déserteurs... Se désola t-il. Ce genre de marauds se fait de plus en plus courant, ces temps-ci...
- C'est logique : la guerre entraîne la désertion, même du côté des vainqueurs.
- Nous ne sommes pas vainqueurs ! S'exclama t-il avec une voix étouffée, comme pour ne pas être entendu par de tiers personnes autres que le chevalier.
- Alors il est d'autant plus normal d'avoir des déserteurs.
Le cavalier était profondément perturbé, il semblait avoir oublié le poids de cette guerre dont l'issue semblait inéluctable... Et fatidique.
- Il nous faudrait une intervention divine pour arracher une victoire de la débâcle qu'est ce conflit...
- Avoir autant de soldats dans vos rangs qu'en maraude suffirait amplement.
- Détrompez-vous, épéiste, nos hommes sont pour la plupart loyaux.
- Vous vous contredisez.
Le capitaine soupira.
Méthodique et aux paroles aussi précises que vraies, l'étranger opposait une forte résistance dans ce débat qui ne pouvait aboutir qu'a une conclusion : La guerre était sans aucun doute déjà perdue.
Le chevalier ne dit pas un mot de plus, le capitaine, lui, acquiesça en silence et sans aucun geste.
Ils poursuivirent leur chemin sur la route de terre battue, creusés par endroit par les roues des caravanes ou les sabots des chevaux, bordée de grandes prairies, aucun champ n'était visible, ni aucune bâtisse... Tandis qu'à l'Est, un sinistre panache de fumée s'élevait.
Ils détournèrent leur regard de ce funeste signe, et continuèrent leur route, sans se laisser perturber, la journée s'écoulant, laissant bientôt place à la nuit, qui tomba alors qu'ils n'étaient qu'a une lieue du village suivant.
Un dernier effort aurait suffit à parvenir à la communauté, mais les soldats, exténués par leur longue marche, exigèrent de se reposer. Leur capitaine, laxiste, accepta.
Il s'arrêtèrent près de la route, et installèrent leurs sacs de couchage autour d'un tas de branches sèches sur lequel s'affairait un vougier.
- Les gars, interpella leur capitaine, nous allons nous relayer pour les tours de garde. Deux hommes à la fois, la relève toutes les trois heures.
- Turgal en premier ! S'exclama un piquier.
- Non ! Contesta l'intéressé, un épéiste. Je suis déjà passé hier ! Pourquoi pas toi ? Ca fait une semaine que t'as pas pris ton tour de garde !
- Peut-être, mais c'est moi qui m'occupe des repas depuis que nous sommes partis !
- Tu appelles ça des repas ? Un ragoût à la bouse d'autroch serait meilleur !
- Tu veux que je t'en fasse manger, de la bouse d'autroch ?
- On se calme ! Les interpella leur chef. Je prendrai moi-même le premier tour.
- Merci capitaine ! S'exclamèrent un par un les hommes rassemblés.
Le soldat, lui, tentait toujours d'allumer le feu... Sans succès.
Il frappait un couple de pierre l'une contre l'autre, espérant faire jaillir des étincelles aptes à enflammer le bois sec, pour faire du tas de branches un feu apte à agréablement chauffer les corps des hommes ... Mais, pour l'instant, seul l'espoir réchauffait son cœur.
Le chevalier, voyant le combattant en difficulté contre un monceau de branches, extirpa de son sac sa boîte d'amadou et sa pierre à aiguiser. Il déchira un petit morceau de la matière inflammable, puis rejoint le soldat.
Il tendit une main ouverte, une paume creuse.
L'homme le regardait d'un homme intimidé, puis tourna son regard vers ses deux éclats rocheux. Il déposa l'un d'elle dans la paume du chevalier ; celui-ci la frappa de sa pierre à aiguiser, et fit jaillir une gerbe d'étincelles, minuscules projectiles orangés, telles de petites flèches de feu, qui se plantèrent dans l'amadou déposé à terre et l'embrasèrent.
La proie des dévorantes flammes fut saisi par une tenaille de métal, deux doigts d'acier qui le jetèrent dans le bois, qu'il infecta de son mal ardent.
En guise de remerciement, le soldat hocha la tête avec un sourire forcé.
Tonnerre s'approcha du cheval du capitaine, et, l'imitant, brouta l'herbe.
Il renifla longuement, habitué au foin, aux grains de blé et aux pommes, mais finit par accepter ce qu'il considérait comme un repas de fortune, ainsi qu'une marque de savoir-vivre envers son confrère équidé, visiblement moins raffiné.
Le « cuisinier » de la troupe installa une petite marmite, dans laquelle il prépara un brouet épais, un ragoût... Paradoxalement, peu ragoûtant.
La bouille, guère plus avenante qu'une fermière obèse et purulente, fut servie dans des écuelles de bois que les soldats avaient sortis de leur sacs. Grimaçants de dégoût, ils avalèrent difficilement leur repas.
A l'écart, assis dos contre une roche, Quelric découpa un petit morceau de son comté, bien et fait et à l'arôme aussi explosif que savoureux, à l'aide d'un petit couteau aiguisé, couplé à une viande séchée coriace mais salée et goûteuse.
Les soldats discutaient, tantôt entre eux, tantôt à voix basse, en jetant de brefs coups d’œils à l'épéiste.
Le capitaine, lui aussi loin de ses hommes, aiguisait sa lame, les crissements métalliques, réguliers et lent, se mêlaient au bruissement des conversations, et aux concerts de grillons et de chouettes, et détendait petit à petit la troupe, lui faisant oublier sa longue et rude marche passée... Ainsi que celle à venir.
Un à un, les hommes se couchèrent. Le feu était toujours allumé pour le veilleur, seul adversaire de Mayoel.
Il tourna un regard intrigué au guerrier armuré.
- Chevalier ? Demanda t-il. Ne dormez-vous pas ?
L'interrogé ne tourna pas la tête, mais ses yeux le firent. Ils plantèrent un regard vide d'émotions dans celui de son interlocuteur, avant de le retourner dans le vague.
- Pas ce soir.
- Vous devriez, pourtant. Demain, la route sera longue.
Le chevalier se tût, coupant court à une discussion encore naissante. Mais le capitaine ne désirait pas passer une nuit silencieuse, avec pour seuls bruits les chants solitaires des prédateurs nocturnes.
- Vous m'avez dit que vous alliez à Lordas... Mais pourquoi être parti seul ?
- Mon maître l'a ordonné. Je dois régler la dette qu'il a envers votre roi.
Les bruissements du métal s'étaient ralentis. Ils ponctuaient chaque fin de phrase, comme si, dans le langage du métal, ils voulaient signifier "point final'.
- Quelle dette ?
- Il ne m'en pas informé.
- Vous foncez donc tête baissée sans connaître la raison de votre bourlingage ? Interrogea t-il, étonné, en arrêtant son bruyant va-et-viens sur la lame.
- Tel est mon devoir.
Le capitaine opina du chef, avec l'air contemplatif d'un homme regardant un œuvre d'art. Trop fier pour sembler admiratif, mais pas assez pour cacher son intérêt.
- Quel est votre nom ? Dit-il en reprenant son activité.
- Quelric.
- Enchanté, Quelic. Je me nomme Paltir.
Le chevalier resta muet, comme indifférent.
Le capitaine était quelque peu mal à l'aise : Soit le chevalier restait coi, soit il répondait méthodiquement, et ses paroles, telles celles sans âme d'une machine, ne laissaient aucune place à une autre question, fermant les conversations aussi vites qu'elles étaient ouvertes.
- Vous êtes peu loquace, n'est-ce pas ?
- Je ne parle que lorsque c'est nécessaire.
- Voilà qui est sage. On écoute plus l'homme qui parle peu que celui qui parle trop.
- En certaines occasions, éviter les bavardages improductifs peut être profitable.
- C'est pourquoi la plupart se taisent en présence d'un puissant noble, la menace de se faire décapiter au premier mot de travers évite d'abuser desdits mots ! Ricana doucement Paltir.
- Vos nobles son loin d'êtres dignes avec leurs gens.
Le capitaine soupira... Le chevalier n'avait décidément peur de rien, mettre les pieds dans le plat ne le gênait absolument pas, et ce n'était pas pieds nus qu'il marchait dans la soupe, mais les jambes bottées et bardées d'acier !
- En effet... Je voudrait pouvoir changer cela. Mais j'ai bien peu d'influence, à mon humble niveau.
L'épéiste opina du chef.
- Vous ai-je dit la raison de notre voyage à Lordran ?
- Non.
- Voyez-vous, nos forces sont éparpillées à travers le royaume entier. En cette situation, une riposte efficace nous est impossible, seule l'unité pourrait nous donner l'avantage, mais nos troupes ne sont que des poches de résistance vites détruites. Aussi le roi désire rassembler toutes les forces indépendantes du royaume pour préparer la contre-attaque.
- Troupes indépendantes... Seriez-vous un mercenaire ?
- Par les Treize, non ! Je ne suis que le fils du seigneur de Kerdiv, le duc Sovern de Kerdiv.
- Et vous n'avez que vingt hommes sous votre commandement ?
- Ils sont ma garde. Je doit rejoindre mon père, puis repartir pour Lordas, à la tête de son armée.
- Ne peut-il pas mener lui-même son armée ?
Il se fait vieux, la guerre est un sport trop intensif pour son âge avancé.
- J'ai connu des vieillards aux portes de la grabatisation, et qui étaient pourtant encore à même de brandir leur épée pour pourfendre des bandits.
- Certes, mais à son âge s'ajoute la maladie. Un mal terrible le ronge, lui donnant fièvre, migraines et nausées...
- Vous ne lui prodiguez aucun soin ?
- Notre apothicaire fait tout ce qui est en son pouvoir pour soulager sa douleur... Mais mon père se meurt, grandit inexorablement la maladie en lui.
Les deux hommes se turent.
Paltir jeta un coup d'oeil à ses hommes, profondément assoupi.
Rêveur récidiviste, il scruta la campagne, enveloppée dans le noir linceul de la nuit.
Puis, soudainement, il lui sembla distinguer une forme obscure, la silhouette d'un cavalier, immobile.
Pensant d'abord à un tour de son imagination, il finit par s'attarder sur cette supposition apparemment sans matière.
Plissant les yeux, le regard perçant, il parvint finalement à distinguer la noire entité, ainsi que sa monture.
Il restait à l'écart, immobile, et le frisson parcourant l'échine de Paltir indiqua à ce dernier qu'il les observait, lui et l'épéite.
Quelric ?
Le chevalier répondit en tournant la tête vers le capitaine.
- Vous voyez ce que je voit... ? Demanda ce dernier en pointant du doigt l'ombre nocturne.
Le veilleur armuré dû longuement longuement insister, et poussa ses yeux à un grand effort pour finalement parvenir à apercevoir la noire silhouette.
- Il semble seul...
- … Il l'est. Pourquoi ne vient-il pas ?
- Soit c'est un voyageur préférant la solitude, soit...
- … Soit c'est un éclaireur.
Les deux hommes se concertèrent du regard.
Ils se levèrent, l'arme à la main.
Si il voulait les voir, autant qu'il aie une meilleur vue sur eux.
Vue qu'ils allaient gracieusement leur offrir.
Le supposé éclaireur, voyant leurs mouvements, donna un violent coup de rênes, et s'enfuit. Sa forme indistincte fut rapidement happée par la nuit et ses ténèbres.
- Pas de doutes, c'était bel et bien un éclaireur. Déclara Paltir, grognant entre ses dents, le regard inquiet et empli de verve.
Il y a donc des ennemis non loin... Restons sur nos gardes, chevalier, l'adversité est proche. Je sent déjà le putride fumet du combat emplir mes narines.
- Je croise les doigts pour que votre pressentiment se révèle faux, Paltir. Répondit Quelric en rengainant sa lame.
- Vous m'excuserez, compagnon, mais j'ai peu confiance en l'hypothèse d'une défaillance de ma part. Appuya Paltir, avec un sourire en coin.
Les deux hommes se rassirent.
Quelric jeta un regard à son cheval, et constata que celui-ci dormait paisiblement aux côtés de celui de Paltir.
Il décida d'imiter son destrier, et s'allongea, son torse armuré toujours sur contre la roche.
- Bonne nuit, Quelric. Lui souhaita le capitaine.
Le chevalier répondit d'un regard constituant à lui seul toute une énigme : Voulait-il dire « Merci. » ou « Et alors ? ».
Il ne pris pas le loisir de le questionner, évitant ainsi une réaction exaspérée de la part de l'épéiste, même si un tel scénario aurait peu de chances de se produire, au vu du caractère de Quelric, plus stoïque que la roche sur laquelle il reposait.
Ce dernier s'endormit rapidement, laissant le capitaine veiller seul, avant que celui-ci ne parte réveiller deux de ses hommes, pour le remplacer.
Au petit matin, le chevalier fut réveillé par les rires des soldats.
Il se leva, et jeta un regard panoramique au campement.
Les soldats avaient déjà rangés leur sacs de couchage, et réunis autour d'un feu ayant été, toute la nuit durant, ravivé par les veilleurs, préparaient leur petit-déjeuner.
Paltir s'était joint à eux, et participait aux conversations, mais la moitié de son esprit était occupé par un problème qu'il préféra taire à ses hommes.
L'épéiste chevalier s'approcha de sa monture, caressa sa robe de bronze cuivré, avant de détacher le sac de vivre.
Il en sortit un aliment, et s'adossa contre le flanc de son destrier, tout en croquant le légume orange.
Le bruit, semblable à celui d'un terrible et carnassier dragon, écrasant et broyant sous ses terribles mâchoires les os des guerriers qu'il avait massacrés, réveilla en sursaut l'équidé, qui, les yeux écarquillés, dressa les oreilles.
Tonnerre tourna la tête vers la source du bruit, et contempla son cavalier. Il eu un bref soupir.
Une carotte.
Il osait manger une carotte sous son nez, sans même lui en donner le moindre morceau.
De la provocation à l'état pur...
Il s'imaginait déjà de faire chuter d'une ruade ce félon sans vergogne, quand celui-ci lui tendit un panache de plumes vertes qu'il happa d'un coup de dent.
La fane, c'était déjà mieux que rien, pensa t-il en la mâchonnant... La ruade attendrait.
Les soldats, eux, avalaient difficilement leur infâme potée, ne se donnant même pas la peine de réprimer leur dégoût, et le laissant éclater par des rictus écœurés.
Le soldat chargé de la cuisine, un dénommé Lars, répondait à ces offenses par des haussements d'épaule agrémentés d'une mine renfrognée, presque blessée.
A la fin de leur repas, le cusinier nettoya ses ustensiles, et les rangea dans son paquetage avant de jeter un plein seau d'eau sur le feu, qui mourut instantanément, sans aucun soubresaut.
Paltir se leva, et exhorta ses soldats à l'imiter. Ceux-ci remballèrent leurs duvets, et se remirent en route.
Quelric flatta le flanc de sa monture, qui se leva, puis se hissa sur sa selle, à l'instar de Paltir.
Les deux cavaliers se retrouvèrent donc en tête, la vingtaine de soldats, rafraîchis par leur nuit de sommeil, marchant dans leurs traces de sabots.
Le chevalier, comme à son habitude, ne dit mot, et resta d'un froid de glace.
La matinée se déroula sans heurts, les accrocs de la guerre semblaient épargner cette région reculée de la ligne de front, et aucune silhouette ne se montra... Hostile comme amicale.
Le soleil était à la moitié de sa course quand les soldats parvinrent à un petit hameau, où ils espérèrent trouver leur pitance.
Alors qu'il pénétraient dans la petite communauté, un sentiment d'angoisse les saisit.
Le village était vide.
Complètement vide.
Volets clos, portes fermées... Pas un seul signe de vie n'émanait des habitations, pourtant en bon état.
Paltir avait un certain pressentiment, bien moins lugubre que celui de ses hommes.
Il mit pied à terre, et contempla l'église du village. Regardant l'horloge du clocher, il déclara :
- Une heure du déclinant... Il est normal que nos gens se soient retirés.
Il se tourna vers ses hommes, pointant du doigt l'édifice :
- Voilà où il se trouvent ! S'exclama t-il, un léger sourire aux lèvres.
- Bon sang ! Rugit un soldat.
- Aneld ?
- Comment peuvent-ils avoir la tête a ces balivernes en temps de guerre ? S'indigna t-il, son jeu de main frustré parlant autant que ses mots.
- Ne blasphémez pas, soldat.
- Pardonnez-moi, sire. S'excusa t-il, regagnant un semblant de calme, tout en gardant une voix irritée. Mais ce genre de pratiques improductives me font saillir les veines !
- Mon cher... Je ne pense pas que ce soit les mœurs, tout à fait louables, de nos gens, qui t'offusquent, mais ton ventre gargouillant.
Le soldat, au sourire pincé, eut un lent hochement de tête.
- Alors que faisons-nous ? Les offices perdurent jusqu'à deux heures, et...
Coupant court aux questions des soldats d'un lever de paume, il questionna Quelric.
- Ami épéiste, vous qui êtes si professionnel, que préconiseriez-vous ?
Le chevalier réfléchit quelques instants avant de déclarer avec assurance.
- Nous ne pouvons nous permettre une trop longue pose, une heure est excessif. Plus vite nous parviendrons à Kerdiv, plus vite l'armée sera réunie, et la guerre gagnée.
Un murmure se fit entendre.
Paltir, fulminant, se tourna vers le chuchoteur, et vociféra :
- Pardon ? Ai-je mal entendu ?
L'archer, pris sur le vif, sursauta, et se recroquevilla derrière son arc, les jambes tremblotantes.
- Rien messire ! Je n'ai absolument rien dit !
Un chat avait-il offert ses oreilles au capitaine ?
- Que je ne te reprenne plus à déblatérer des paroles aussi défaitistes. Elles sont mauvaises pour le moral, en plus d'être vides de sens.
- Bien messire, je ne recommencerai plus.
- J'espère. Dit il en se mettant en selle.
Il fit signe à ses soldats de continuer leur route.
Malgré leurs ventres rugissant tels des lions aussi affamés que les estomacs en question, la troupe reprit sa route.
Le soleil entama sa retombée en cloche dans le ciel, et bien souvent, les soldats réclamèrent une pose que le capitaine, raffermi par le regard involontairement inquisiteur du chevalier, n'offrit pas.
La froideur de l'épéiste semblait déranger les hommes, qui évitaient le contact. Cette attitude laissait Quelric indifférent. Il n'était pas là pour tailler bavette, mais pour accomplir sa mission, bon-gré mal-gré !
La nuit tombant, il parvinrent à un second village, bien plus consistant que le premier.
Il était composé d'une cinquantaine de chaumières, de champs affiliés à un moulin à vent, une église, ainsi qu'une auberge, ce qui n'était pas pour déplaire aux hommes, assoiffés, affamés et exténués.
C'est avec un grand soulagement qu'ils passèrent les portes de l'édifice.
La gorge sèche, leur estomacs gargouillant, ils s'installèrent à la hâte.
- Tenancier ! Héla Paltir. Viens-donc servir notre troupe ! Mes soldats et moi même avons jeûné toute la journée durant !
- Messire Paltir. Répondit l'aubergiste en s'inclinant. Vos désirs sont des ordres.
Approuvant d'un hochement de tête, le capitaine fit signe à ses hommes de s'installer, ce qu'ils firent, occupant cinq tables à eux seuls.
Les autres clients étaient impressionnés, voir tétanisés par cette troupe vagabonde, qui semblaient avoir peu de considération pour leurs pauvres âmes.
La première tournée vit la mort de vingt et un cruchons d’hydromel… Et la seconde, la désertion des villageois encore présent dans l’auberge, et qui ne voulaient pas tâter du soldat ivre.
Alors que les hommes dégustaient ladite tournée, l’un d’entre eux, encouragé par les essences de l’alcool, se leva, et, d’une voix aussi mélodieuse que celle d'un troll :
- L’ennemi nous éviscérons !
Le capitaine reprit en chœur
- Par l’épée nous le passerons,
Les soldats, ravis, se concertèrent du regard, et se joignirent aux deux hommes.
- Sans pitié ni rémission !
- Non, nous ne sommes pas des mercenaires !
Nous, on se bat pour la terre mère !
Par le feu et par le fer,
Et s’il le faut, jusqu’en enfer !
Mais avant de repartir à la guerre,
Servons-nous une dernière bière !
Le cœur réchauffé par l’hymne , la troupe éclata de rire, puis se tourna vers le soldat, instigateur de l’agression auditive, et scandèrent en frappant les tables de leur chopes.
- Lève le coude ! Lève le coude !
Celui-ci, les yeux ronds, haussa les épaules, un air d'idiot ahuri sur son visage, et but d’une traite sa chopine.
- Pas étonnant que l’on t’appelle « Large Gueule » ! S’exclama le capitaine.
De nouveaux éclats de rire ébranlèrent la taverne.
La nuit se poursuivit, les chopines se vidaient, se remplissaient, pour se vider à nouveau, l'alcool embrumait les esprits et trahissait les sens.
Bientôt, Paltir dû envoyer à l'extérieur, en espérant que l'air frais dissiperait les vapeurs alcoolisées qui le désorientaient.
L'ambiance dans la taverne, elle, se dégradait à vue d'oeil, sous le regard de Quelric, d'une noire froideur... Des soldats saouls sont souvent synonymes de problèmes...
L'un d'entre eux claqua sa main poisseuse sur le fessier de la serveuse, fille du tenancier.
… Et ceux-ci tombaient souvent sur les fleurs délicates que sont les jeunes femmes désirables.
- Laissez-donc cette pauvre demoiselle tranquille... Pensez à vos femmes, vos enfants... Les réprimanda Paltir...
Mais un sourire étira le coin de ses lèvres à la fin de sa phrase.
- … Ah, j'oubliais : Vous n'êtes pas mariés.
Des rire gras emplirent la taverne... Les soldats étaient bien tous les mêmes.
Le coureur de jupons aviné passa son bras autour des hanches de la jeune femme, tétanisée, et la serra contre lui, joue contre son flanc.
- Pourquoi s'alourdir de la même vieille carne jusqu'à la fin de sa vie, alors qu'on peut chaque jour avoir mieux que la veille ?
La pauvre hère semblait choquée, désemparée... Elle redoutait ce qu'il allait se passer, et cette pensée, cette vision d'horreur la paniquait. Elle jeta un regard suppliant à son père, qui, impuissant, baissa le regard.
- Laissez-la en paix.
La voix du chevalier était autoritaire. Une voix calme, mais dure, une voix charismatique, qui écrasa de son poids les ardeurs des soldats. Le capitaine lui-même n'osa dire mot.
L'homme lâcha sa « proie », et s'excusa platement auprès d'elle pour sa conduite.
La jeune femme, les yeux pétillants de joie , s'approcha de l'épéiste, et lui adressa une maladroite révérence.
- Sire... Je ne sais comment vous remercier, je...
- Ne vous laissez plus abuser de la sorte.
- J'aimerai pouvoir... Mais je ne suis pas une guerrière, je n'oserai résister à ces hommes, ce qu'ils me feraient subir serait pire encore que si je m'étais laissé faire.
Quelric acquiesça intérieurement... Il avait oublié ce détail : Elle n'était pas une consœur, mais une simple paysanne que la nature avait maudite d'un trop jolis minois.
- Alors faites attention à vous... Et évitez de revenir dans cette salle ce soir, laissez à votre père la corvée du service.
La serveuse s'inclinant en minaudant un léger remerciement, puis s'éloigna, une légère rougeur aux joues.
Paltir se leva d'un pied hésitant, et s'approcha du chevalier, puis posa sa main sur son épaule armurée.
- Camarade... Une boisson, pour te rafraîchir ?
- Non, merci.
- Allez, je vous en prie... Pourquoi ne pas boire une petite bière avec un compagnon de route ? Détendez-vous, bon sang !
Quelric se retourna et subitement, agrippa l'épaule de Paltir, le tirant vers lui, son oreille à une vingtaine de centimètres de son heaume. L'étreinte n'était pas ferme, ni brutale.
- Dois-je vous rappeler qu'hier soir, nous avons aperçu un éclaireur ? Et hostile, qui plus est ? Au lieu de vous saouler et d'essayer de besogner une serveuse, vous feriez mieux de penser à l'ennemi qui rôde dans les parages.
Les yeux écarquillés, le voile alcoolique les couvrant ayant subitement disparu au profit d'un regard angoissé. Couvrant sa main de sa bouche, il lâcha difficilement :
- L'éclaireur... Je l'avais oublié...
- Vous avez oublié une telle menace ? Est-ce vous qui devrez commander à deux milliers d'hommes ?
- Ne me jugez pas trop sévèrement, épéiste. Interjeta le capitaine d'une voix sèche.
- Au vu de la situation, je pense être en droit de le faire. Si vous voulez devenir un général, vous devriez gagner en rigueur.
- Que savez-vous du commandement ?
- Assez pour savoir qu'un général si ivre qu'il en oublie l'ennemi fait rarement un bon tacticien. Vous ne semblez pas être de ceux qui dérogent à la règle.
Paltir baissa les yeux... Quelric n'avait pas tort.
Quel général ferait-il ?
Le soldat maudit son infortune.
Alors que tous se saoulent et festoient, il est là, seul dans l'église, juste en dessous de la cloche...
Il frémit : Le vent est glacial, ce soir.
Dans l'ombre, il lui semble voir une silhouette se découper...
L'archer, interloqué, scrute plus attentivement encore la pénombre.
Ses yeux s'ouvrent subitement, écarquillés...
