Petit cadeau une bataille médiévale fantastique, sortie de mon dernier roman. Attention c'est un premier jet :
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Chapitre 29
Il était encore tôt et le soleil filtrait entre les arbres des collines de l’est. Les troupes avançaient le long d’un chemin de terre. Les derniers bataillons peinaient à traverser un petit hameau groupé sur un monticule peu élevé. Le gros des troupes avaient déjà rejoint des hauteurs, au sud. C’était un point stratégique. Le seul endroit élevé à ne pas être couvert de forêts. De là, on pouvait voir la longue vallée herbeuse qui continuait vers le nord, jusqu’à disparaître dans la forêt qui descendait des collines de l’est et de l’ouest, parée par l’automne de riches ton d’or et de porphyre.
Il faisait plutôt beau, un ciel de trainé où le bleu était parcouru de nombreux nuages blancs qui filaient aux trousses de la pluie qui était tombée les jours précédant.
Even Evess chevauchait aux côtés des autres magiciens de Drakenland. Il se sentait… se sentait… il n’y avait pas de mots pour une telle impression, pas pour lui en tout cas. Il s’était déjà battu, mais jamais dans une vraie bataille. Et là, il savait que ce jour pouvait voir sa mort. L’elfe des bois avait peur, mais ce n’était pas la peur qu’il avait connu jusque là. Cette sensation n’était pas vive et tranchante comme la terreur immédiate qu’il avait expérimentée. C’était une boule noire et âcre qui se retournait au fond de son estomac, formait un bâillon douloureux au fond de sa gorge et humidifiait sa nuque de sueur froide.
Si… Si seulement Serin… ou Erika avait été là, il se serait senti moins terrorisé. Serin Névarius chevauchait sur un squelette de cheval au milieu de son bataillon de mort-vivants. A sa différence, elle ne montrait aucune peur… mais ils avaient partagé trop de choses ces derniers temps pour que l’elfe se leurre. La jeune nécromancienne avait déjà connu la guerre. Ce qui allait venir à eux, les légions des démons, c’était quelque chose qu’elle connaissait bien et son horreur était bien plus grande que la sienne.
Erika von Bullow avait pris le commandement d’une libre compagnie. La capitaine avait l’habitude de diriger ce genre de troupe. Entourée de vétérans, son épée à la main, elle était indéniablement dans son élément. Il pourrait peut-être la voir au cours du combat puisque son unité devait se tenir juste aux côtés des mages dans la bataille.
Il aurait dû être en compagnie de ces deux jolies filles pour profiter de ce temps agréable et se balader dans les sous-bois. Au lieu de quoi, il chevauchait derrière des chevaliers aux montures caparaçonnées, gonfanons au vent. Derrière le groupe des magiciens, avançaient des paladins démontés, qui allaient renforcer l’infanterie de l’aile droite. Laquelle était placée sous le commandement de S’ssan. Le vieil homme serpent avait acquis un solide vernis de culture martiale au cours de la Guerre des Magiciens. Even se laissait d’ailleurs dire, qu’il avait depuis exercé cet art à plusieurs reprises.
Des sonneries de trompettes brisèrent la rêverie anxieuse du jeune sylvain. Le son martial fut repris par les tambours et les fifres. Les premiers bataillons changèrent de position pour adopter l’ordre de bataille tandis que les dernières troupes se pressaient pour rejoindre leurs positions.
Even leva les yeux. La veille, il avait regardé la carte qui montrait le champ de bataille. Il savait que les démons se tenaient sur les collines au nord-ouest. Mais il ne voyait rien. Ces hauteurs étaient abritées par les hautes ramures des conifères. Pas un son ou un mouvement n’était perceptible. L’ennemi était complètement à couvert.
Il y eut un silence à peine entrecoupé par des murmures et des hennissements. Tout un coup une trompe solitaire lança sa voix de bronze en défit. Les hommes se redressèrent, brandirent leurs armes :
- Gott mit uns !
C’était un cri formidable, braillé par des milliers de gorges qui sembla ébranler les collines. Il s’apaisait à peine qu’un nouveau concert de trompettes remis les hommes en marche. Les fifres et les tambours recommencèrent à jouer tandis que les moines guerriers entonnaient des cantiques en latin.
Noyé au milieu de la masse de la première ligne, Even ne pouvait voir les troupes s’avancer vers les postions qui leur avait été assignées. Mais il sentait cette volonté, cette exaltation… cette peur qui unissait tous les combattants. La boule dans son ventre avait un peu relâché son étreinte et ses sens lui paraissaient plus aiguisés que jamais. Cela avait commencé, bien qu’aucun tir n’ait été échangé, la bataille avait commencé. Il savait que son plan avait été fixé la veille par von Eisenbach. Tout ce déploiement était basé sur les connaissances que Serin avait de ses semblables. Selon elle, les créatures des abysses étaient trop sauvages, trop agressives pour rester tranquillement retranchées sur les collines. L’armée avait donc été séparées en deux ailes qui formeraient un L, ou plutôt un triangle rectangle dont le troisième côté était formé par les positions des démons dans les collines. Toutes les créatures des abysses qui s’avanceraient dans la vallée seraient prises dans le feu croisé de tous les tireurs et taillés en pièce avant d’arriver au contact. Enfin, c’était l’idée…
L’elfe des bois déglutit soudain… Cela semblait bien devoir marcher. De la main, il fit signe à S’ssan.
- Maître ! Les démons bougent regardez ici et là !
Debout sur les étriers de sa monture, l’homme-serpent tendit son long cou.
- Oui, je vois du mouvement. Mais qu’est-ssse que sss’est ? Tes yeux sont meilleurs que les miens Even, dis-moi !
- Je vois des silhouettes à l’orée du bois, juste en face de nous. Je crois que se sont des fantassins, maître. Là bas, entre les deux collines, vous voyez ? Il y a un trou dans la couverture des bois. J’y vois des cavaliers qui changent de position. Je crois qu’ils reculent pour se poster sur l’éminence qui est un peu plus au nord.
- Bien !
D’un geste, le maître magicien appela une estafette.
- Que les canons sss’avansssent pour bombarder l’infanterie ennemie sssur sssette colline. Que les chevaliers possstés en fassse de même pour ssse porter sur les flancs de l’artillerie et la couvrir. Jeteurs de sssorts ?
Le cœur d’Even manqua un battement, le serpent s’adressait à lui et aux autres magiciens.
- Avansssons !
Manfred von Grosskarl regarda autour de lui sans parvenir à cacher son anxiété. La bataille était encore dans l’avenir, une chose futur. Tout pouvait arriver, à présent, les meilleures ou les pires choses. Le jeune homme était sensible à l’électricité qui était dans l’air. Il entendit les ordres autour de lui. Alors que le gros de l’infanterie s’immobilisait, les magiciens s’avancèrent vers l’ennemi.
Des coups de feu éclatèrent soudain. Des nuages de fumée apparaissaient en cascades sur l’aile gauche. Des reitres se repliaient en tiroir, faisant feu par roulement pendant que d’autres rechargeaient leurs armes.
Leur cible était indistincte à cette distance. Mais, même pour ses yeux ordinaires, il était visible que des… choses se tenaient à l’orée des bois, au pied de la colline la plus proche de l’aile gauche.
Voyant des traits d’énergie violette frapper le sol autour des cavaliers, horrifié, Manfred compris que les soldats faisaient face à des sorciers. Plusieurs reitres et leurs montures furent touchés et s’embrassèrent comme de la paille pour s’effondrer en amas de charbon noirci.
C’en était trop, les mercenaires prirent la fuite, poursuivis par une meute de créatures en forme de boule et dotés de quatre bras. Exactement comme celles qu’ils avaient affrontées dans les catacombes. Une sonnerie de trompette annonça l’arrivée de chevaliers en armures étincelantes, les penons de leurs lances claquant au vent. Les démons furent brisés par la charge, rattrapés dans leur fuite et finalement piétinés par les chargeurs .
Comme si cela avait été un signal, la ligne de collines sembla entrer en éruption, dégorgeant des nuées de créatures baroques dont la moitié seulement était humanoïde. Des faisceaux de lumières violettes frappèrent les preux, en tuant plusieurs. Ils précédèrent la contre-charge d’une parodie de chevalerie, montés sur des chevaux hideusement caparaçonnés et couverts de pointes, à l’image des armures de leurs cavaliers.
A peine engagée, la bataille tournait en faveur des démons.
Heureusement, les batteries de couleuvrines de l’aile droite étaient à présent à bonne portée. Les magiciens virent leurs voisins charger leurs pièces et commencèrent à se concentrer pour jeter leurs sorts.
Le ciel parut se convulser alors que des comètes ardentes en tombaient pour détonner au sol, l’éventrant de geyser de feu et de fumée. C’était la riposte des mages, bientôt rejointes par le lourd ronflement des boulets de canons qui se joignaient à l’assaut magique.
Les démons furent arrêtés net par l’effroyable bombardement. La mort les faucha par groupes, les blessa, les jeta à terre et les dispersa dans une innommable panique. L’orage mortel ne s’apaisa que laisser place à des sonneries et des roulements de tambours qui emplirent l’air. Ils précédèrent des centaines de chevaliers criant à pleins poumons la devise de leurs ancêtres. Derrière eux, l’infanterie avançait pesamment en carrés hérissés de piques et de hallebardes. Arquebusiers et arbalétriers les suivaient au son du fifre.
Les orgues à feu crachèrent une mitraille qui faucha les arrières des troupes fracassées par la charge des ritter de Drakenland. Rien ne semblait pouvoir les arrêter. Comme la faux tranchait la moisson, ils abattirent démons et sorciers, ne s’arrêtant qu’aux pieds des collines.
La vallée était à présent couverte de cadavres au milieu de cratères encore fumants. Ici et là l’herbe brûlait, soulevant une lourde fumée noire.
Pourtant Manfred était loin d’être rassuré, il se rapprocha d’Even.
- Que vois-tu ?
- Pas grand-chose, mais il y a encore du monde dans les collines.
- Oui, c’était une simple escarmouche. Les choses sérieuses n’ont pas encore commencées.
Manfred se sentait d’humeur particulièrement sombre. S’ssan acquiesça.
- Avenssons !
Les hommes n’eurent pas le temps d’obéir. Des trompes sonnèrent sur les hauteurs.
Chapitre 30
L’infanterie de l’aile gauche s’immobilisa sans attendre les ordres. Même à distance, Lothar Schmidt sentait leur peur dans le vent. Les yeux plissés, le lycanthrope se tourna vers les collines oui, cela recommençait, il pouvait sentir les démons qui se préparaient à charger.
S’ssan plissa ses yeux reptiliens.
- Un ennemi ssstupide est toujours une bénédiction !
Dame Eldarin grimaça, couchée comme à son habitude sur son divan volant, elle regardait la bataille comme une tâche indigne d’elle. Sans doute surtout parce qu’elle ne dirigeait pas et qu’une fois encore c’était son vieil ennemi personnel qui commandait.
- S’ssan, cela cache quelque chose.
- Inutile d’épiloguer ! Magisssiens, jetez vos sssorts.
A nouveau le ciel se convulsa, des boules de feu y éclatèrent, donnant naissance à des tentacules embrassés qui se refermèrent sur les hordes de démons. A l’extrémité de l’aile gauche, les reîtres se mirent à tirer en caracole.
Mais les créatures des abysses continuaient d’avancer, malgré les canons, malgré les pistolets à rouets et les sortilèges. La moitié de la seconde vague gisait déjà au sol quand les chevaliers de Drakenland et les morts-vivants de Serin Névarius lancèrent une contre-attaque. La mêlée fut immédiatement très violente, soutenue par les canons et les sorts qui continuaient à matraquer l’arrière garde ennemie. C’est alors qu’il y eut une de ces erreurs stupides qui se produisent toujours dans le chaos de la bataille. Des tirs mal réglés tombèrent au milieu du bataillon de squelettes de la comtesse d’Absang. Un tiers de ses serviteurs tombèrent en l’espace de quelques secondes.
Alors que canonniers et mages suspendaient le feu, une troupe de cavaliers ennemis mis à profit ce mouvement d’incertitude pour traverser la zone battue par les couleuvrines sans être ennuyés. Leurs montures ressemblaient à des chevaux décharnés, mais leurs yeux étaient rouges et leur denture était constituée de crocs aiguisés.
Ceux qui les chevauchaient n’avaient pas meilleure allure. Humains au premier regard, ils étaient presque nus, exception faite d’un harnachement de cuir clouté. Certains avaient des casques à cornes bardés de pointes. Ceux qui allaient tête nus montraient un crâne huilé où le rasoir n’avait épargné qu’une longue tresse. Leurs dents étaient taillés en pointe, ils avaient des tatouages énigmatiques un peu partout sur le corps et comble de l’horreur, des têtes momifiés battaient les flancs de leurs monture, eux-mêmes montaient en collier les phalanges de leurs ennemis vaincus. Pour toute arme, ils avaient des haches légères et des boucliers circulaires.
Lothar Schmidt nota tout cela en un instant. Les mages s’étaient avancés loin dans la vallée pour pouvoir jeter leurs sorts toute à leur aise. Aucune troupe d’infanterie ne les protégeaient et… les démons venaient droit sur eux.
S’ssan réagit immédiatement, ordonnant à la cavalerie de charger l’ennemi. Mais jamais elle ne serait là à temps pour les sauver !
Par chance, Serin Névarius avait compris le danger. Elle y était d’ailleurs exposée au premier rang. Les cavaliers des Abysses traversaient les rangs de ses esclaves, les rattrapant et les détruisant un par un.
- Stop ! Regroupez-vous autour de moi et contre-attaquez.
L’ordre de la nécromancienne arrêta instantanément les damnés. Ils firent volte-face, pour affronter l’ennemi. Toutefois, ils n’avaient été de leurs vivants que de simples brigands. Leurs armures antiques, leurs armes rouillées ne pouvaient pas infliger des blessures graves aux démons. Ils réussirent toutefois à arrêter la charge. Fière, Serin vit ses créatures employer spontanément la seule technique efficace contre les cavaliers des Abysses, entourant un ennemi isolé pour abattre sa monture et le précipiter au sol, puis l’achever avant qu’il ne se relève. Hélas, pour chaque démon tombé, plusieurs squelettes étaient « tués ». Les rangs des damnés se réduisaient comme peau de chagrin. Alors que la comtesse d’Absang était sur le point d’ordonner la retraite de ses troupes, les cavaliers se replièrent, en proie à la panique.
Une troupe de chevaliers venait de charger.
Elle prit l’ennemi de flanc, taillant en pièces les démons, enfonçant leurs rangs. Les destriers de cauchemars, plus rapides que les lourdes montures des ritter permirent à ceux qui tournèrent brides assez vite d’échapper à l’ennemi. Les autres furent massacrés.
Il y eut un bref flottement lorsque les rangs de ses esclaves et les nobles chevaliers se rencontrèrent. Les nobles de Drakenland haïssaient férocement les mort-vivants, luttant depuis des siècles contre les barons vampires de Transylvanie et leurs légions de damnés. Quand aux créatures de Serin, elles abhorraient viscéralement les vivants. Heureusement, la démone tenait fermement ses créatures. Quand aux chevaliers, ils eurent bientôt des problèmes plus immédiats.
Des femmes de feu et de charbons ardents s’étaient mises à danser devant leurs rangs, effrayant leurs montures. Attractives et superbes, il s’agissait de Pyriades, une des plus effroyables races démoniaques nées des Abysses.
Aussi courageux que fussent les preux de Drakenland, ils ne faisaient pas le poids contre de tels adversaires. Leurs pertes furent tout de suite très lourdes.
Serin rallia ses troupes pour les lancer à l’attaque. Mais, des collines, surgissaient toujours plus de démons. Il avait suffis de quelques minutes pour que la bataille bascule et se transforme en une mêlée confuse. Tout autour de la nécromancienne, les unités s’étaient disloquées. L’infanterie de l’aile droite se mélangeait à celle de l’aile gauche, ainsi qu’à des cavaliers isolés. Les cris de douleur et d’horreur résonnaient de toute part, au milieu des fracas des détonations, du heurt des armes et des appels de toutes sortes.
Alors que la nécromancienne hésitait encore, une charge de cavaliers démons en lourdes armures fracassa les rangs de ses esclaves, les jetant au sol, les piétinant. En l’espace de quelques minutes, la plupart des créations de Serin avait été annihilées. La nécromancienne jura et lança sa monture squelettique au galop. Quelques poignées de ses esclaves réussirent à s’extraire du combat. Voyant les mages qui se regroupaient derrière les rangs de l’infanterie en marche, elle fit obliquer sa monture. Les chevaliers démons poursuivirent un moment ses troupes en retraites, pulvérisant les squelettes qu’ils rattrapaient, mais ils firent heureusement volte-face pour affronter un péril plus immédiat.
Trois golems à vapeur s’avançaient au milieu d’une horde d’hommes-boucs. Les créatures au front marqué du pentagramme inversés frappaient avec leurs sagaies à pointe de pierre sans parvenir à blesser les automates de fer boulonnés qui crachaient de la vapeur sous pression. Lents et maladroits, leurs pas ébranlaient le sol avec lourdeur. Armés d’une hache ou d’une masse aussi grande qu’un homme adulte, ils les maniaient avec la régularité d’un métronome. Des grappes de démons s’accrochaient aux machines en mouvements, grimpaient sur elles pour frapper les yeux ou les articulations, mais c’était peine perdu. Les armes des colosses faisaient le vide, projetant les hommes-boucs vers le ciel, les broyant ou les faisant rouler dans la poussière. Pris de terreur, les démons se débandèrent… Les chevaliers des Abysses se regroupèrent et chargèrent ces monstres d’acier.
Le capitaine Erika von Bullow tenait un pistolet d’une main et une longue rapière de l’autre. Autour d’elle, les membres des compagnies libres utilisaient toutes sortes d’armes, espadons, épées et boucliers, hallebardes. Un prêtre marchait au milieu des combattants, il tenait une masse d’arme etl evait de l’autre une bible d’une main, pour exhorter ceux qui l’entendaient à se battre pour la victoire.
Sa voix fut étouffée par les cris d’une escadrille de vouivres piquant sur le champ de bataille. Elles vomirent des flammes qui engloutirent des dizaines de démons puis, firent une ressource pour échapper aux jeteurs de sorts qui foudroyèrent un de ces pesants cousins des dragons.
Ce n’étaient pas les seules créatures volantes présentes sur le champ de bataille. Les habitants des abysses avaient elles aussi des unités aériennes, comme ces singes aux ailes de cuir qui s’élancèrent à la poursuite des vouivres. Erika ne put cependant voir la suite des combats. Alors que sa troupe allait entrer dans la mêlée. D’éblouissants rayons lumineux naquirent dans les collines. La plupart des tirs creusèrent tranchées et cratères, loin à gauche des fantassins, mais un canon à faisceau traversa de part en part une troupe d’infanterie. Lorsque la jeune femme put rouvrir les yeux, le bataillon semblait avoir été coupés en deux comme par un coup d’épée. Des corps recroquevillés, noircis, gisaient dans cet espace…
- Ne cédez pas à la panique, cria le prêtre. « Dieu est avec nous ! Pour le kaiser, avancez ! »
Erika braqua sa rapière.
- Vous ne pouvez pas faire demi-tour, vous êtes déjà sous le feu de l’ennemi. Mais ils ne tireront pas sur leurs propres troupes qui sont au contact des nôtres. Vous voulez vivre ? Chargez !
La capitaine avait dit ce qu’il fallait, ces hommes qui doutaient de survivre à l’affrontement, se mirent à courir pour gagner le cœur de la mêlée. En fait, la bataille s’achevait. Les humains avaient payé un terrible tribut, mais à présent ils gagnaient. Face à l’aile droite, il ne restait plus qu’un bataillon de démons humanoïdes, taillés en colosse, la peau bleue, chauves. Ils avaient aux tempes des cornes de taureaux d’un noir lustré. Largement inférieurs en nombre, ils combattaient un mélange de chevaliers et de fantassins de différentes unités. Leurs redoutables haches bipennes terrassaient un homme après l’autre, mais les balles d’arquebuses et les carreaux d’arbalètes pleuvaient sur eux. Cet ouragan de violence parut durer des heures, puis soudain Erika ne trouva plus d’ennemis à combattre. Autour d’elle ne subsistait plus que des alliés ou des cadavres.
Chapitre 31
Even était groggy, il y avait un vide béant dans son cœur où résonnait des questions à n’en plus finir. La bataille s’achevait. Et même si cela semblait incroyable l’empire de Drakenland avait triomphé.
La plupart des démons survivants s’enfuyaient.
Une infime partie de la troupe qui avait attaqué.
Les créatures des abysses s’étaient battues avec un mépris terrible de la vie, la leur comme celle de l’ennemi. Ils avaient avancé là où n’importe quelle troupe humaine aurait reculé ou se serait débandée. Une bonne moitié étaient morts fauchés en pleine course. Cependant, ceux qui avaient traversé les sortilèges et la mitraille avaient suffi pour faire un carnage.
Un hennissement résonna à quelques pas. Even se retourna pour faire face à un cheval caparaçonné, la monture de quelque vaillant chevalier… Le destrier s’ébroua et le regarda avec méfiance. Il n’y avait qu’eux de vivants aussi loin que le regard perçait la fumée épaisse qui stagnait sur le camp de carnage. Un ronflement sourd passa au-dessus de l’elfe. Comme gifflé par un géant, Even chancela. Le boulet qui venait ainsi de le frôler s’écrasa non loin, le mitraillant de mottes de terre. Lorsqu’il releva la tête, il n’y avait plus de cheval, seulement un cratère supplémentaire…
Alors qu’Even titubait au milieu des corps, fébrile et effaré par sa propre survie, une main s’abattit sur son épaule pour le faire se retourner. Il fallut que son interlocuteur le secoue comme un prunier pour qu’il reconnaisse Manfred.
- Tu es blessé ? !
- Hein ? !
- Réveille-toi ! Tu es blessé ? !
Even tressaillit et soudain son environnement émergea de la ouate épaisse qui semblait tout emplir. Les canons tiraient encore et le vent rabattait vers eux des écharpes grises à l’odeur âcre.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu disais ?
Un bruit de course empêcha le jeune aristocrate de poursuivre ce dialogue de sourd. Une bande d’hommes-boucs émergèrent des fumées. Blessés, terrorisés, ils ne jetèrent qu’un rapide coup d’œil aux deux magiciens. Derrière eux retentissait le bruit des sabots comme un roulement de tonnerre. Moins choqué que l’elfe, Manfred tira son compagnon à l’écart. De farouches cavaliers émergèrent des tourbillons de poudre consumée. Des reitres ! Certains allaient tête nue, le front ceint d’un linge sanglant. Les armures étaient marquées d’impacts. Les chevaux chancelaient d’épuisement, le poitrail couvert de bave séchée.
Ils passèrent à côté d’eux, leurs longs pistolets à rouets dans une main, tirant vers les démons en fuite. Les yeux fous, la bouche tordue d’une grimace, ils criaient sans cesse :
- Töte! Töte! Töten Sie sie alle !
Le combat avait marqué les terribles mercenaires. Exposés à l’horreur, ils étaient devenus aussi démoniaques que les créatures des abysses, aussi impitoyables qu’elles.
A peine avaient-ils replongés parmi les brumes de poudre consumées que d’autres bruits de combats, hennissements de chevaux, et heurts métalliques parvinrent jusqu’à eux. Cela se rapprochait, mais en même il était impossible de situer exactement l’origine de l’affrontement. La fumée étouffait et distordait bizarrement les sons.
Manfred secoua la tête.
- J’aimerais bien retrouver les autres. Je me sens un peu seul ici.
Even ferma les yeux, écoutant avec attention. Il désigna une direction.
- Il y a une troupe importante dans cette direction, ils avancent vers les collines.
- Amis ou ennemis ?
- Je pense que ce sont des amis.
- Bon, allons par là !
Sans qu’ils s’en aperçoivent, le soleil avait avancé dans le ciel et on été déjà en début d’après midi. Le vent se leva soufflant avec force depuis le sud, chassant les fumées qui stagnaient sur la vallée.
Les derniers combats se déroulaient dans les collines. Fantassins et cavaliers attaquaient les pièces d’artilleries ennemies. On pouvait voir que les démons refluaient quittant l’abri des arbres poursuivis par des reitres comme ceux qu’ils avaient croisés tout à l’heure.
Une flammèche bleutée apparue soudain devant eux, elle se métamorphosa pour prendre l’apparence d’un visage aux traits réguliers. Pour avoir déjà vu ce sortilège en action, l’apparition de ce simulacre de dame Eldarin n’en était pas moins une preuve édifiante de ses capacités.
- Manfred, Even, rejoignez notre poste d’observation.