La Confrérie des Traducteurs

Un mot sur trois
Un pour moi
Un mot pour me désigner
Dire que je suis l'intéressé
Que nul ne pourra jamais
Egaler cette envie que j'ai
D'être à tes côtés
Dans mes bras, pouvoir te serrer
Sur ton épaule, de joie pleurer
Et pouvoir te l'avouer

Un mot sur trois
Un pour toi
Un mot pour te signaler
Que tu es la personne désirée
Que ton sourire est le remède avéré
A mes peurs et mes anxiétés
Que tu n'as pour moi que des qualités
Que tes quelques défauts, je les oublierai
Que mon coeur pleure de ton rire, émerveillé,
De bonheur, ce sentiment tant recherché

Un mot sur trois, le dernier
Pour clairement le déclarer
Ouvrir mon âme telle les battants
D'une porte d'un bois branlant
Car je suis chancelant, à peine remis
De cette douleur qui m'a détruit
Un ultime mot pour te le dire, finalement
Si je trouve la force de l'annoncer clairement
En sachant que tu baisseras ton regard troublé
Et me dira d'une voix désolée

"... Je suis navrée... Pardonne-moi."
Et que je sourirai, dévasté encore une fois
Que, fou de douleur, je rirai aux éclats
Et lâcherai dans un soupir las
Que je suis fatigué d'espérer
Que j'aurais dû abandonner
Le soir où tu me l'as confié
...
Que jamais, tu ne m'aimerai.

Moi, qui tous les jours, me tient à vos côtés
Défends votre vie, votre âme, votre paix
Moi qui tous les jours, ai le privilège insensé
D'imaginer mes espoirs devenir réalité.
Et si l'est un fantasme qui soit déluré
C'est celui-ci, à n'en pas douter
Sûrement, votre père, en son infernal logis
De toutes les façons connues, me maudit
Sûrement votre mère, en son sombre palais
Somme ses serviteurs de mon existence écourter.
Mon sabre a déjà tranché bien des vies,
En votre nom, je me bas sans répit.

Ma lame doit en vérité m'aimer
Tant, du sang de vos ennemis, je l'ai abreuvée
Et la terre elle-même semble assoiffée
Tant de boisson écarlate, elle s'est enivrée
Chaque jour et chaque nuit chantait l'arc noir
Criant tel un funeste oiseau aux plumes de désespoir
Bien moins aigle noble que corbeau charognard
Tranchant le fil de vie tel la troisième moire.
Jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'aube rosée
Entre les lames, porteuses de mort, je volais
Pour que sur les cadavres, vous puissiez marcher
Poursuivre votre route, sans daigner les regarder
Sans gratitude, si ce n'est celle des mots
Que votre sourire narquois faisait sonner faux.

Mais ma lutte était intérieure, et le feu brûlant en moi
S'embrasait moins ardemment que celui du combat
Alors que vous me transperciez d'un regard avide
S'étirait sur votre visage le rictus d'une clémence aride
Que vous caressiez de vos mains perfides
Mes lèvres, mon corps, ma peau placide
Que, par punition ou simple cruauté
De répondre à ces excitations, vous m'interdisiez
Tandis que de mon combat personnel vous vous rassasiez
Que du goût de ma souffrance vous vous délectiez
Que vous sentiez en moi monter l'envie
De vous rendre la monnaie de cette pièce salie
Instincts que je me devais de refouler
Sous peine de voir votre courroux se déchaîner.

A chaque fois votre odeur m'enivre,
Ce sourire dévastateur m'interdit de vivre
Je deviens alors esclave de vos tourments
Et me dois de subir, des heures durant
Ces caresses malsaines, qui telles un fouet ardent
Brûle mon être, rends mon souffle tremblant
Car devant vous, je ne puis que fondre
M'incliner, accepter, "oui" je me dois de répondre
Je dois avouer que ce n'est pas pour me déplaire
Que par ces caprices sensuels vous puissiez vous satisfaire
Mais il est ardu de se contenter de ce que l'on me donne
Quand celle qui me torture est une démone
Et bien que vous n'en ayez ni les ailes, ni les cornes
Ce n'est pas ces détails qui changeront la donne

Cela pourra ressembler à une complainte
Un murmure plus lugubre qu'une froide étreinte
Mais que celui qui lit mon cœur en témoigne
Je ne suis point ampli de rancœur, ni de hargne
C'est un sentiment plus chaud, et pourtant moins brûlant
Qui panse les plaies de mon inconscient
Faisant naître un sourire au milieux de mes pleurs
La tête blottie entre les mains, aux tristes heures
Suivant ces supplices plus délicieux que mesquins
Où je refoule mes sentiments, l'autre comme l'un
Mais que ce baiser sur ma joue rougeoyante
Guérisse mon soldat de la douleur qui le hante
Me faisant croire qu’un jour, qui sait,
Votre langue de la mienne je pourrai caresser
Et vous dire tout bas ces trois mots douloureux
Que je m’interdis de prononcer, pour vous défendre au mieux.

Il passa le reste de sa journée à préparer ses affaires, seul dans sa chambre...
On toqua à sa porte.
Tiré de ses préparatifs, il l'ouvrit et dévisagea son ami qui se tenait sur le seuil.
Un visage désolé, voir dévasté.
- Quelric... Je... Je suis désolé de ne pas pouvoir...
- Cela ne sert à rien de s'excuser, je ne voulais pas que tu viennes avec moi.
- Parce que... Je suis inutile ?
- Parce que tu n'est pas encore prêt pour de tels travaux. Tu es encore un bretteur.
- Nous n'avons qu'un rang d'écart !
- C'est un rang de trop.
Et, en vérité, il n'en avaient pas qu'un. Quelric avait clairement un niveau bien supérieur à son rang, et il ne devrait attendre que le solstice d'hiver pour voir son talent récompensé... Pour devenir un paladin-épéiste.
- Alors... Tu pars seul ?
- Oui.
- Ecoutes, Quelric... Je t'ai toujours considéré comme un frère, tu le sais. Je t'en prie, reviens en vie.
- Je survivrai, j'en fait le serment. Répondit le chevalier avec un regard déterminé, la voix forte et assurée.
- Bien... L'heure du souper approche, nous ferai-tu l'honneur de venir à table, une dernière fois, avant que tu ne partes vers l'inconnu ?
- D'accord. Je viens.
- Merci mon ami. Dit-il en hochant la tête, un amer sourire aux lèvres.
Il se décala pour laisser passer Quelric, qui sortit de sa chambre, partant vers la Grande Salle. Hadrian lui emboîta le pas, et ils partirent, côte à côte dans les couloirs éclairés par les torches qui avaient été allumées par les serfs à la tombée de la nuit. Leur marche fut silencieuse, le chevalier étant peu loquace, et le bretteur trop peu confiant pour engager une conversation.
Ils arrivèrent bientôt dans le hall principal, résonnant, comme à son habitude, des conversations vives et endiablées des épéistes.
Ils repérèrent le pan de table où leurs amis s'étaient rassemblés, et les rejoignirent.
Ils s'assirent côte à côte, en face de leurs trois convives: Leya, une jeune femme aux yeux et aux cheveux similaires en couleur à ceux de Quelric, Etrosk, dont la queue de cheval laissait deviner sa prédilection pour les épées longues, et Unael, fils d'un noble impérial à la tignasse dorée.
Sur la table trônait un véritable festin: Une dinde braisée, encerclée par des pommes de terre ruisselantes de sauce, sur un tapis de feuille de choux, ainsi que, en guise d'entrée, une salade verte agrémentée de lardons cuits à point et de morceaux de fromage.
Le repas du soir était toujours le meilleur.
Après s'être salués, ils engagèrent une conversation à laquelle Quelric ne prit pas par.
Tous semblaient vouloir oublier que leur ami allait partir au matin, pour ne plus revenir, dévoré par un monstre abominable, transpercé par une lance, déchiqueté par une bête féroce... Ou pire encore.
Mais, même si ils souhaitaient éviter un sujet fâchant, ils ne purent faire disparaître le malaise.
Le chevalier était silencieux, d'un mutisme encore plus prononcé qu'à l'habitude, et ce silence était pesant pour tous.
Tous l'imitèrent pendant quelques instants, coupant court à leur discussion sonnant faux.
- Où vas-tu ? Demanda Leya, brisant le silence de glace.
- Dans les Contrées de l'Est. Au Nord-Est d'ici.
- Pourquoi ?
- Leya... Tenta de l'interrompre Unael.
- Le Haut Maréchal m'envoie pour une affaire personnelle.
- Quelle affaire personnelle ?
- Une affaire qui ne te concerne pas. Ni toi, ni moi, ni aucun de nous.
- Alors pourquoi t'envoies t-il ?
- Car il me fait confiance.
- Et pas à nous ?
- Non.
- Pour quelle raison ?
- Car je suis plus gradé, plus discipliné, plus digne de confiance, et surtout, plus fort.
- Tes chevilles gonflent, Quelric.
- Tu dois être sourde pour ne pas entendre raison.
- Raison ? Quelle raison y-a t-il là dedans ? On t'envoies risquer ta vie dans des terres barbares et sans pitié, sans que cela te concerne, et toi, tu acceptes ? Où est la raison ?
- C'est ce que nous faisons tous. C'est notre devoir. Cites-moi une seule mission dans laquelle tu as été personnellement concernée.
- Mais nous le faisions toujours pour le bien commun, pas pour des affaires privées ! Nous ne sommes pas des mercenaires !
- Je suis prêt à endosser n'importe quel rôle pour elle.
Il revint à la charge. Le silence. L'odieux silence.
Le terrible, implacable et cruel silence.
Un silence aux mille noms composés de mille mots.
Pesant, forçant à la réflexion, signifiant un malaise palpable, comme une incertitude, une contradiction, un désaccord gênant et inavouable.
- Quelric... Dit Erosk d'une voix douce, comme pour ne pas attirer la hantise ou la colère, pour ne pas voir le chevalier partir dans les rages froides et taciturnes qu'il avait parfois. Cela fait trois ans. Ce n'est pas comme si elle avait été enlevée par un chasseur d'esclave... Rends-toi à l'évidence: Elle est morte.
- Alors pourquoi m'aurait-il dit qu'elle est encore en vie ? Demanda t-il, avec une voix dans laquelle on pouvait deviner une profonde irritation.
Le jeune bretteur venait de verser l'acide des mots sur la blessure de l'esprit, et une réaction virulente de la part du chevalier n'était évitée que par la maîtrise de soi de ce dernier.
- Voyons, c'est évident: Il se sert de toi ! S'indigna Leya. Cet homme est un manipulateur sans scrupules ni morale, il fera tout pour parvenir à ses fins !
- Et alors ? Il reste un espoir ! Et je suivrai cet espoir ! Jusque dans la tombe, je le suivrai ! Aux Enfers et dans les Limbes je le suivrai ! Jusqu'à la Rivière Rouge et en Obsurel ! Jusque dans les volcans en furie et la gueule béante des dragons ! Rien ne m'arrêtera !
Quelric ne rugissait pas, il grognait.
Il ne vociférait jamais, il restait, la colère vibrant dans sa voix, même si cette dernière restait au volume du simple parler.
- Arrêtons d'en parler. Proposa Hadrian. Nous partageons notre dernier repas avec notre ami, alors tâchons d'en faire un bon repas.
- Tu as raison... Pardonne-moi de t'avoir lancé là-dessus, Quelric. S'excusa Leya, la faute au fond des yeux.
Le chevalier ne répondit pas, et découpa une large tranche de blanc dans la carcasse de la fumante de la dinde. Il fut bientôt imité par ses compagnons.
Tous se régalèrent, la viande tendre fondant dans leur bouche, emplissant leurs papilles de saveurs douces mais éclatantes. La sauce était un délice, et se mariait à la perfection avec les pommes de terre et la volaille. Ils ne purent s'empêcher de manifester leurs contentement gustatif, et, l'esprit calmé par la saveur du repas, se mirent à plaisanter et à rire, ce qui détendit grandement l'atmosphère.
Vers la fin de soirée, Quelric se leva, et quitta la table, saluant d'un geste de la main ses convives, d'abord outrés, puis déçus.
Il retourna dans sa chambre.
Une fois entré à l'intérieur, il ôta son armure et se coucha, rabattant sur lui ses chaudes couvertures.
Les ténèbres l'envahirent tandis que Moyiel, déesse du sommeil, le serrait dans ses bras.
Avec le matin vint la lumière, qui illumina la chambre du chevalier. La cloche de la paroisse retentit, et le réveilla. Il ouvrit les yeux et se leva.
Il s'habilla, avant de passer son haubert de mailles, puis de fixer ses plates d'armures en acier: Gantelets, spallières, grèves et genouillères. Il enfila son armet d'acier, et passa son large tabard brodé du blason de sa famille.
De son père, plus précisément, représentant un demi-soleil, comme levant, entouré de ses rayons semblable à des éclairs, et de deux épées entrecroisées, en arrière-plan.
Il revérifia ensuite le paquetage qu'il avait préparé la veille.
Cinq cent pièces d'or, dont une cinquantaine étaient placées dans sa bourse, un élixir de soin, conservée depuis de nombreuses années, une pierre à aiguiser, une boîte d'amadou et son sac de couchage, ainsi que plusieurs tabards de rechange -avoir un tabard déchiré est un déshonneur pour un épéiste.
C'était tout ce dont il avait besoin.
Il porta la main à la clenche de la porte... Mais ne la poussa pas, regardant la chambre dans laquelle il avait vécu pendant quinze ans.
Devenue poussiéreuse, le bois semblait s'éclaircir au fil des années. Une chambre minuscule, mais pleine de lumière.
Un lit deux places, pour une seule personne...
Durant des années, la rigidité extrême de Quelric avait forcé sa sœur à dormir avec lui, l'épéiste ne supportant pas l'idée que celle qu'il aimait le plus au monde puisse dormir sans quelqu'un de confiance auprès d'elle.
Et puisqu'elle n'avait jamais trouvé personne de confiance à part Quelric...
Ou plutôt : Et puisque Quelric n'avait jamais trouvé quelqu'un de confiance...
Quand ils étaient venus, elle n'avait que six ans, il en avait déjà quatorze.
Un lien fort les avaient unis, dès leur plus jeune âge.
Un lien plus fort que celui du sang... Bien plus fort.
Il tourna la tête, ainsi que la clenche, et passa la porte.
Le temps n'était plus aux lamentations.
Il jeta son sac sur ses épaules tandis qu'il se dirigeait vers les cuisines.
Un odorant fumet embruma son nez comblé lorsqu'il poussa la porte de bois.
Des dizaines de jeunes marmitons s'affairent autour de grandes marmites de fonte d'où s'exhalait une fumée odorante et au parfum épicé. On sentait les herbes aromatiques, la viande grillée, les pommes cuites au four... Les cuisiniers voltigeaient entre les plats, sans jamais se toucher ou se parler, rajoutant du sel, goûtant les sauces, enlevant une feuille de laurier qui n'avait pas sa place dans un potage, remuant, tournant, coupant, écrasant, râpant...
Tous se pressaient autour de lui, en ne lui accordant qu'une faible attention.
Il s'apprêtait à s'avancer quand le chef de cuisine, un homme en embonpoint, habillé d'une chemise blanche, s'approcha de lui, ses mains nues étaient d'une propreté impeccable.
Il portait à deux mains un sac d'apparence lourde, et qui devait sûrement contenir des vivres pour plusieurs semaines.
- Salut, Quelric. Dit le cuisinier.
- Salut. Répondit l'épéiste.
Le cuisiner tendit son sac à une main, tentant de cacher le mal qu'il avait à le tenir.
Il avait beau essayer de dissimuler son effort, on pouvait entendre ses profondes respirations.
Au bout de quelques secondes, de grosses perles de sueur coulèrent sur ses joues et son teint vira au rouge écarlate.
- Il y a de quoi tenir deux semaines. Grains de blés, laitue, carottes, fromage, viande séchée, choux, pommes...
- Merci. Le coupa le chevalier.
Le cuisinier acquiesça, et eu un immense soupir soulagé quand son fardeau passa de ses mains à celles de Quelric. Il regarda son interlocuteur, et planta un regard inquiet dans le sien, froid.
- Reviens en vie.
- Je ferait en sorte de ne pas mourir.
Et, à ces mots, l'épéiste sortit des cuisines.
Il avait ses vivres, ses bagages...
Ses armes l'attendaient.
Il se dirigea vers la forge, dans une alcôve reliée aux quartiers des gardes.
Bientôt, des pulsations métalliques résonnèrent, cadencées, constantes, régulières, tels les battements rythmés d'une horloge, soumise à la pendule qui l'obligeait à cliqueter à chaque seconde.
Plus il s'approchait et plus les bruits s’amplifiaient, résonnant contre les murs de pierre d'une couleur jaunâtre apaisante.
Il passa la porte de bois clouté...
Le vieux forgeron ne connaissait pas le repos.
Frappant impitoyablement sur une plaque de métal rouge sur son enclume de fer noir, dans l'espoir de pouvoir en faire une lame acérée, une autre à ajouter à l'arsenal déjà incroyablement bien fourni de la Confrérie.
Suant comme un cheval et soufflant comme un bœuf, à l'image du soufflet qu'il actionnait de son pied -la forge ne doit jamais s'éteindre-, les mains rendues calleuses par des années de travail intensives, noircies et durcies par les gerbes d'étincelles qui jaillissaient à chaque frappe et s'écrasaient sur sa peau rendues dur comme le cuir par sa vie d'armurier acharné. Le visage bruiné, les cernes prononcées... Il était le seul armurier de toute la Confrérie, et travaillait de nuit comme de jour.
Constamment cloîtré dans la pièce, faite de pierres d'un gris déroutant, mal éclairée, il n'était pas très fréquenté, et la plupart des dialogues qui le comprenaient se résumaient à des « Bonjour », « Je voudrait cela », « Merci, au revoir. ». En dehors de son travail, nul ne connaissait le vieil homme, nul ne savait si il avait des enfants, une femme... Voire une vie en dehors de sa forge, puisqu'il n'en sortait même pas pour manger, demandant aux cuisiniers de lui apporter son repas.
« Laisser là l'abandon une lame en devenir est autrement plus dramatique que de laisser ton plat refroidir, bougre d'andouille ! » Grognait-il à chaque cuisinier qui lui demandait d'aller manger avec les autres confrères, en prétextant qu'amener un plat des cuisines jusqu'à la forge était trop long.
En voyant l'épéiste, il s'interrompit, et plongea la barre de métal dans un seau d'eau glacée, avant de poser son marteau sur son enclume.
La lame pouvait attendre... Au contraire du chevalier.
Il s'approcha de lui, et lui serra la main de sa poigne de fer.
- Salut, gamin.
- Salut, vieil homme.
Le forgeron le serra contre lui de son bras libre, dans une accolade amicale, avant de lui demander :
- Tu es venu pour t'équiper, n'est-ce pas ?
- Pour quelle autre raisons serait-je venu ?
- Je ne sais pas, pour dire « Bonjour » a un vieil homme seul ?
- Je ne trempe pas dans ce genre d'affaire, mais c'est gentil d'y avoir pensé.
Le forgeron éclata de rire, et lui fit signe de le suivre.
- Ne t'en fait pas, je préfère les jeunes femmes aux hommes forts... Dit-il avec un sourire en coin.
Le chevalier acquiesça d'un hochement de tête, repris par son habituelle neutralité.
Ils pénétrèrent dans l'armurerie... Et quelle armurerie !
Sur des râteliers trônaient des armes aussi variées que nombreuses : Epées, espadons, haches, hallebardes, piques, pertuisanes, guisarmes, masses, arbalètes, sabres... Par centaines.
Sans compter la foultitude de harnois, les hauberts, les armures d'écailles et de plates...
Il y avait de quoi équiper toute une armée.
Le fruit du travail acharné d'un unique forgeron, a qui ont avait souvent dit qu'il se tuerait à la tâche.
Il riait au nez de ces gens et reprenait son travail, dont les gestes répétitifs étaient devenus mécaniques, mais emprunt d'une conviction que mêmes les forgerons personnels des rois envieraient.
- Si je m'en réfère à ta doctrine...
- Epée et bouclier.
- Pourquoi changer une équipe qui gagne ?
- Je ne vois pas pourquoi changer de style de combat au risque de compromettre mon efficacité.
- D'où ma remarque.
Il prit une épée longue sur un râtelier, et la lui tendit, fusée en avant.
Il la dégaina, et l'inspecta.
- Acier damasquiné. Maniable, légère, effilée, parfaite pour les estocs.
- Non. Dit-il en la rangeant. Trop légère. Une lame trop légère est facilement déviable, et désarmer un ennemi équipé d'une arme légère est d'autant plus simple.
- Bien...
Il la reposa, et prit une épée bâtarde. L'épéiste la dégaina, et inspecta son tranchant.
- Acier clouté. Garde large, grande fusée, acérée, elle brise les boucliers et tranche aussi bien la chair que le métal. Même si le coup est bloqué par l'armure, la contusion suffit parfois à mettre à terre un ennemi.
- Non. Répéta t-il. Trop lourde, trop peu maniable, trop facilement esquivable. Comment pourrais-je mettre à terre l'ennemi si je frappe dans le vide ?
Le forgeron la reprit, la replaça, et en prit une autre.
- Epée large, acier trempé...
- Je la prend. Elle est bien équilibrée. Les lames équilibrées permettent des mouvements rapides, adroits et mortels.
- Un épéiste spécialisé dans une lame lourde ou légère sera toujours meilleur qu'un épéiste à lame équilibrée.
- Pas si celui-ci est spécialisé dans ces lames.
Le forgeron hocha la tête, tel un professeur regardant un élève ayant réussi à la perfection une épreuve ardue.
- Pour le bouclier ?
- Ecu de métal. Répondit le chevalier en fixant l'épée à son ceinturon.
- Un écu de métal complet ? C'est très lourd !
- Mais grâce à cela, je peux bloquer n'importe quel coup, le contact violent contre le métal repoussera mon ennemi et la vibration causée par le choc le rendra vulnérable. De plus, je suis sûr d'au moins sonner mon ennemi avec le coup de bouclier.
- Si l'ennemi frappe avec une assez grande force, ton bras vibrera lui aussi, ce ne sera pas comme avec un bouclier de bois.
- Pas si je frappe la lame pour la dévier. Et les coups trop puissants sont souvent très lents, il sont donc facilement esquivables.
- Et pourquoi un écu ?
- Il résiste mieux aux chocs que le bouclier rond, tout étant plus maniable que le bouclier rectangulaire. Il est aussi plus simple à transporter et à détacher du harnais que le bouclier rectangulaire, et utilisable à cheval.
Le sourire du forgeron s'élargit, à nouveau, il hocha la tête, et pris un écu de métal, dont la surface était peinte à l'honneur de la Confrérie des Epéistes.
- A t'entendre, j'ai l'impression que tu as été élevé par le maître d'arme personnel de l'Empereur ! Même un armurier des Chevaliers Impériaux n'aurait pas fait une meilleur expertise. Le congratula t-il en lui tendant le bouclier.
Quelric le remercia en enfilant le harnais auquel était accroché l'écu.
Le forgeron posa sa main sur son épaule.
- Prends garde, Quelric.
Le chevalier planta son regard dans le sien. Un regard déterminé.
- Je ne sais pas vers où t'envoies Artaen, et je trouve inacceptable qu'il ose mettre en danger la vie de ta sœur et la tienne pour des affaires ne regardant que lui. Cet homme est une pourriture,et je répugne à lui obéir, mais je n'ai pas le choix. Protèges tes arrières. C'est seul que tu pars, mais quoi qu'il arrive sache que mes pensées et ma bénédiction t'accompagnent.
L'épéiste hocha la tête.
- Je reviendrai sauf, et je la sauverai. Ne t'en fais pas. Dit-il d'une voix déformée par la résonance de son heaume.
- Je te fais confiance. Maintenant, vas. Ta route s'annonce longue, ne perds pas plus de temps en palabres.
Le guerrier fit volte-face, et partit.
- Quelric ! L'interpella une dernière fois le forgeron.
Quelric n'avait pas besoin de voir le visage défait du vieil armurier, pour savoir que ses yeux, chauffés par l'intense brasier de la forge étaient embués, et qu''il luttait pour retenir la vague de tristesse qui le submergeait en voyant le jeune homme, à moitié moins âgé que lui, partir vers une aventure dont il ne reviendrait pas.
L'épéiste baissa la tête, et, sans rien dire, sortit de la forge.
Il dût attendre une longue minute avant d'entendre les martèlements agressifs de la forge reprendre, tels les lents battements d'un cœur de fer.
L'heure était venue. Il n'avait plus rien à faire dans la forteresse, il était temps de partir.
Dans le grand hall, quelques épéistes terminaient leur petit déjeuner.
Il le traversa, le métal de ses grèves cliquetant et résonnant contre le sol de pierre.
Sur les tables de bois poli s'étendaient -ou s'entassaient- de nombreuses cartes.
Penchés au dessus d'elles, des confrères discutaient, cherchant des tactiques à adopter pour leur prochaines missions, tandis que les gardes échangeaient de fugaces paroles et de légers coups d’œils
L'ambiance était grave, militaire.
Il poussa, à l'aide des deux gardes en faction, les immenses portes de bois, d'environ un demi-mètre d'épaisseur, et descendit dans la cour intérieure.
La forteresse était composée du bastion, place-forte imprenable aux murs haut de plusieurs dizaines de mètres, de hautes tours qui, lors des sièges, se remplissaient d'arbalétriers à la précision meurtrière, et d'un donjon rivalisant avec celui d'un ordre de chevalerie Impérial ainsi que d'une haute-cour cerclée de murailles, dressées depuis des siècles, et qui jamais n'avait faillies, résistant aux assauts, aux invasions barbares, aux attaques de gargantuesques créatures et de seigneurs de guerre sans pitié.
Jamais elles ne s'étaient ébréchées.
Jamais elle n'avait cédées, et jamais elle ne céderaient.
Les pierres, d'un gris clair tendant vers le blanc cassé, rendaient resplendissante l'imposante forteresse, reflétant, telle la surface d'un calme lac, les rayons dorés du soleil.
Il parvint à l'extérieur du château, et descendit les escaliers, rudoyés par les centaines de milliers de pieds, bottés de fer, qui les avaient gravies.
Les cris des précepteurs se mêlaient aux rugissements du métal, vibrant en frappant des lames acérées aux pointes aiguës, ou tonnant en choquant les dures et inébranlables surfaces des boucliers.
Le sifflement des carreaux et des flèches, assimilées aux cris aigus des arbalètes et aux claquements secs des arcs, bien que plus rares que les vociférations du métal, se mêlaient avec ces derniers, pour créer une vacarme digne de l'endroit qui formerait tant d'excellents guerriers : Le camp d'entraînement.
Jadis, il était l'un d'entre eux, un apprenti... Mais il avait déjà de solides notions enseignées par son père.
Il dépassa les joutes dans lesquelles s'entraînaient les épéistes, et se dirigea vers les écuries.
Et celles-ci étaient de taille proportionnelle au reste de la forteresse : Immenses.
Elles devaient pouvoir abriter des centaines de destriers, et contenir assez de purin pour faire s'évanouir toute une armée.
La puanteur qui s'en émanait en rendait l'accès ardu, voir impossible, à tel point que bien des garçons d'écuries s'étaient vus tomber malade après leur première journée.
Pour pallier à ce problème, les écuries étaient lavées chaque jour par les estomacs les plus coriaces -ou les nez les plus bouchés-, mais la pestilence restait écœurante.
Il l'ignora, et passa le portail de bois donnant vers le haras.
De nombreux hommes s'affairaient autour de chevaux aux carrures et robes variées...
Coursiers, palefrois, destriers... Du plus fin pur-sang au plus robuste percheron, mâles et femelle, jeunes poulains ou vieilles carnes.
Couleurs et races pour tout les goûts.
Il passa entre les boxes et les garçons d'écurie, et alla se présenter au maître des écuries, le maréchal-ferrant.
Celui-ci était assis sur un tabouret, fumant une pipe d'où s'échappait une fumée à l'arôme épicé, il contemplait un tas de clous et de fers à cheval, mais avait plus les yeux dans le vague que rivés sur le tas de métal.
- Salut.
- Salut Quelric ! Alors ? Prêt ?
- Bien sûr.
- Toujours aussi stoïque, a ce que je vois ! C'est bien... Mais décevant pour tes interlocuteurs !
L'homme éclata de rire.
Il ne s'attendait pas à entendre le chevalier répondre d'un rire... Et cela n'arriva point.
- Tu es là pour ton vieux canasson, n'est-ce pas ? Demanda t-il, en mordillant l'embout de son brûle-gueule.
- Ce n'est pas un canasson... Maugréa l'épéiste.
- Nous sommes d'accord. Sourit le maréchal-ferrant, heureux de voir un homme aussi attaché à sa monture.
Il se leva, et partit vers un enclos. Il y entra, et en fit sortir le cheval qui l'habitait.
Posant sa main sur son cou,
Une magnifique monture à la robe brune, un étalon dont la carrure était à mi-chemin entre le palefroi, un puissant cheval de bataille, et le cheval de course, doué pour son incontestable vitesse.
Un destrier robuste, rapide et docile.
La monture parfaite pour un chevalier.
- Il... Il est impressionnant. Murmura t-il. Tu l'as bien dressé.
- Je ne l'ai pas dressé...
- Je sais. Assura t-il avec un sourire approbateur. Tu l'as élevé.
La monture s'avança d'elle-même, près de son maître. Elle lui donna un petit coup de museau affectueux. En réponse, le chevalier le lui caressa d'un geste doux.
- Je vais le seller. Annonça le maréchal-ferrant.
Bien qu'il puisse lui aussi préparer son destrier, l'épéiste n'émit aucune protestation, et sortit sans un mot, non sans être interpellé par un petit reniflement équidé.
Une fois hors des écuries, il s'adossa contre son mur, et croisa les bras contre sa poitrine.
Où allait-il ?
La réponse lui importait peu, seule comptait l'enjeu.
Comment pouvait-il parler d'enjeu ?
La seule femme qu'il avait jamais aimée, la seule femme qu'il ai jamais serrée dans ses bras.
Les amours étaient parfois plus forts quand ceux-ci étaient fraternels, et peu de tels amours existaient. Peu d'amours aussi forts avaient jamais vu le jour.
Le portail s'ouvrit dans un léger grincement, les sabots frappaient le sol dans un claquement régulier, annonçant à l'épéiste que sa monture était prête.
- Prends soin de lui, je ne veux pas qu'il y passe. Prévint l'homme en le regardant droit dans les yeux, ses lèvres étirées dans un sourire encourageant.
Dans cette phrase à l'aspect inhumaine, l'on pouvait clairement déchiffrer : « Reviens sauf. »
Le chevalier se contenta de hocher la tête.
Il accrocha sac de vivre et de voyage à la selle, puis se hissa sur celle-ci , et avança au pas jusqu'au chemin de terre dallée qui menaient aux portes de la forteresse.
Celle-ci étaient déjà ouvertes.
Deux battants d'un mètre d'épaisseur pesant chacune cinq tonnes de bois des forêts d'Havre-Chêne.
Deux arbres avaient été nécessaires pour bâtir ces portes.
Cela ne représentait rien pour certains, mais qui connaît les forêts elfiques de l'Est ne peu que comprendre l’œuvre titanesque que fut la coupe de ces arbres et la conception des lourdes portes de la citadelle de Fier-Acier.
Un complexe système de rouages ouvraient les portes chaque matin, et les fermaient chaque soir, dans un vacarme insupportable, fait de grincements du bois et de crissements du métal contre la pierre.
Encore renforcées par de lourdes plaques de métal, les portes étaient à l'image des murailles : Inaltérables et titanesques.
Alors qu'il s'approchait, un des gardes, adossé contre la tranche de l'un des battants, leva sa main en signe d'adieu.
Le chevalier hocha lentement et profondément la tête, pour le remercier.
Ultime regard en arrière.
Un foudroiement oculaire dirigé vers le donjon, où se dessinait une noire silhouette, assombrie par la distance.
Les regards se croisèrent.
Le doute n'était point possible, et ce, même malgré l'éloignement entre les deux hommes : Ils se défiaient du regard.
« En es-tu capable ? »
Oui, il l'était.
« En a-tu le courage ? »
Pour sûr, il l'avait.
« Le fera-tu ? »
Bien sûr, il le ferait.
Ultime regard en arrière, qui mourut lorsqu'il tourna la tête.
Devant lui s'étendait le monde.
Sous ses pieds s'étendait une route jonchée de pièges.
Devant lui s'étendait une bataille.
Sous ses pieds s'étendait un sol jonché de cadavres.
L'éclat de ses yeux plissa lorsqu'il fronça les sourcils.
Devant lui s'étendait sa destinée.
Sous ses pieds s'étendait le seul chemin vers son but.
Vers la victoire.
Vers sa sœur.
Il se courba sur sa monture, et donna un coup de talon dans sa croupe.
Le cheval partit au triple galop, secouant le chevalier à chaque coup de sabot sur le sol.
Quelric et Tonnerre, deux êtres, liés depuis leur enfance.
Autour d'eux s'éveillait le printemps.
Dans les fourrés, les yeux luisant de chevreuils, intrigués, et les formes indistinctes de quelque animal se dessinaient dans ce havre vert.
La nature chantait, gazouillait, roucoulait au jour nouveau, le concert harmonieux troublé par un galop agrémenté de bruissements métalliques.
Sa quête commençait.

La colline était parsemée de roses et d’edelweiss. Un cavalier solitaire tenait son cheval par la bride, marchant à ses côtés. Son visage était enfantin et très pale, presque blanc, mais contrastait avec ses yeux qui eux, étaient étrangement rouges. Il portait au côté une fine rapière, qui se balançait au gré de ses pas. Sa tenue était des plus simples, mais bien taillée. L’étrange duo s’avançait sans se presser, observant le paysage alentour, serein. Cependant, une impression d’infinie tristesse émanait du garçon.

C’est ce moment que choisirent les maraudeurs pour s’approcher au galop vers le cavalier et sa monture, écrasant edelweiss et roses. Ils l’encerclèrent, et celui qui semblait être leur chef lui demanda ce qu’il faisait ici, garçonnet étrange seul au milieu des fleurs rouges et blanches. Il répondit qu’il allait au-devant de sa destinée, et qu’ils devaient le laisser passer. Ils ricanèrent, descendirent de cheval et sortirent leurs armes, à l’exception de leur commandant, sentant que quelque chose clochait avec ce cavalier solitaire. Il le jaugea, et finit par dégainer lui aussi son épée, pour ne pas perdre la face devant ses hommes.

Le premier malfrat bondit en avant et essaya de trancher le bras de son adversaire, mais il ne rencontra que le vide. Une seconde plus tard, une rapière blanche traversa son corps et un liquide rouge jaillit du trou. Deux autres maraudeurs s’approchèrent plus prudemment cette fois, l’un étant un colosse avec une gigantesque hache et l’autre, un épéiste tenant deux glaives. Ils frappèrent en même temps, respectivement de coups horizontaux et verticaux, mais le garçon avait réussi à passer entre les deux lames. Il tournoya sur lui-même, et trancha la gorge du plus petit de ses agresseurs, en tailladant au passage le torse du géant. Ses cheveux opalescents allèrent frotter la manche écarlate de son quatrième adversaire alors que celui-ci levait sa rapière dans un geste inutile, sachant qu’il ne pourrait arrêter la lame mortelle. Dès lors qu’il fut tombé à terre, le redoutable bretteur se tourna vers le chef des maraudeurs, qui attendait la mort avec résolution. Le jeune garçon s’avança, et éjecta la lame des mains du commandant d’un habile mouvement du poignet. Puis, il lui fit signe de reprendre son cheval et de partir. Le malfrat ne fut que trop heureux de pouvoir partir, et s’enfuit à bride abattue.

Le cavalier solitaire déharnacha les chevaux restants, et les envoya brouter au milieu des roses et des edelweiss, du sang et des lames, du rouge et du blanc.

Certains naissent dans l'honneur
D'autres ont pour eux la peur
D'autres naissent au trône, dans sa chaleur
Certains déchaînent leur fureur
D'autres ont la force de dix hommes
Certains séduiraient même une démone
Certains se targuent de leur sang noble
D'autres ont la taille d'un troll
Je ni la richesse, ni la naissance
Je ne sais le combat, n'ai nulle puissance

Craignez-donc l'homme oublié
Celui que vous aviez dévasté
Car son nom, les corbeaux le chantent
Les renards eux-mêmes le vantent
C'est sa voix qui la nuit vous hante
Ses mots, sa parole cinglante
Jamais vous ne pourrez oublier
« Le Cornard », comme vous le nommiez

Torturé par leur odieux mépris
Maculé d'une boue de dépit
Malmené par leurs moqueries
Sous leurs attraits de velours, ils rient
Les doucereux, les nobles, les croquants
Toutes ces respectables, ces bonnes gens
Ignorent sûrement et simplement
Que l'esprit vainc le bras le plus puissant

Craignez-donc l'homme oublié
Celui que vous aviez dévasté
Car son nom, les corbeaux le chantent
Les renards eux-mêmes le vantent
C'est sa voix qui la nuit vous hante
Ses mots, sa parole cinglante
Jamais vous ne pourrez oublier
« Le Cornard », comme vous le nommiez

Ce n'est point de ma lame que je me défends
Je ne suis qu'un fieffé charlatan
Ennemi de tous, allié de chacun
Opportuniste sans nul frein
Mentirai-je ? Par les dieux, je n'oserai
Je ne frappe que dans le vrai
Répandant le caché, la vérité
Afin de survivre, et de me venger

Craignez-donc l'homme oublié
Celui que vous aviez dévasté
Car son nom, les corbeaux le chantent
Les renards eux-mêmes le vantent
C'est sa voix qui la nuit vous hante
Ses mots, sa parole cinglante
Jamais vous ne pourrez oublier
« Le Cornard », comme vous le nommiez

Ne pensez pas me faire confiance
J'ai peu d'amis pour trop de méfiance
Leurs noms riment avec « Inexistance »
Et j'en ai un pour chaque circonstance
Ironie, menace, ou grêles insultes
Faisant naître rage, peur ou tumulte
C'est triomphal que je regarde cette bourse pleine
Symbole de ma victoire sur votre intelligence naine

Craignez-vous l'homme oublié ?
Celui que vous aviez dévasté ?
Car son nom, les corbeaux le crient
Les renards eux-mêmes le fuient
C'est sa voix qui la nuit vous harcèle
Ses mots, sa parole, rude ritournelle
Jamais vous ne pourrez l'oublier
« Le Cornard » vous fera regretter

La nuit tombait tandis que le chevalier atteignait le village de Trouble-Rive, hameau peu fréquenté et reculé.
Il ne s'y attarda pas , ne nécessitant aucun confort.
Il flattait fréquemment les flancs de son cheval, caressant sa robe brune.
Celui-ci était docile, agréable, ne hennissait ni ne rechignait, et semblait tout faire pour que son cavalier soit dans une position agréable.
Il ne terminèrent leur chemin que lorsque la lune fut haute dans le ciel de ténèbres, et que la noirceur eut envahi les environs. Ils s'arrêtèrent près d'un petit bosquet.
Un bûcheron semblait être passé, mais n'avait pas achevé son œuvre : Un tronc d'arbre abattu gisait, partiellement élagué.
Sur la souche débitée avait poussé nombre champignons, et le lichens avait envahi son écorce.
Quelric ramassa les quelques branches mortes qui gisaient de-ci de-là.
Il les déposa en un petit tas, et sortit sa boîte d'amadou et en déchira un morceau, ainsi que sa pierre à aiguiser. Le chevalier prit une pierre et la frappa contre la sienne. La gerbe d'étincelles enflammèrent un petit morceau d'amadou qu'il jeta dans le bois, qui prit progressivement feu, créant un léger brasier qui réchauffa l'épéiste errant.
Celui-ci partit près de son cheval et décrocha le sac de vivre, il fouilla dedans et en sortit un sac de blé, avant d'en tirer une grande poignée.
Le bruissement des grains tombant, glissant, se frottant les un contre les autres se mêlait avec les craquements du bois en train de brûler.
Alerté par le bruit, le cheval.vint s'installer près de lui, et s'assit juste à côté de lui.
Le chevalier porta sa main à sa bouche, et et mangea une partie du blé, le croquant rapidement avant de l'avaler, puis il la lui la tendit.
La monture fourragea dans sa paume, et engloutit goulûment les grains restant avec de grands craquements.
Il fouilla à nouveau dans le sac, et en tira une pomme verte et brune, bien mûre.
Le cheval lui porta un petit coup de museau, qu'il ignora.
Il croqua dans le fruit juteux, et se délecta de son goût acidulé et sucré, délice pour ses papilles qui restaient pourtant indifférentes.
Un deuxième coup de museau, agrémenté cette fois-ci d'un bruyant reniflement.
Le chevalier céda, et offrit sa pomme à sa monture.
En quelques coups de dents bien placés, le fruit fut réduite à un trognon malmené qu'il laissa choir dans sa main.
Il le jeta par dessus son épaule dans un buisson, avant de caresser le museau de son compagnon équidé, puis de s'allonger dans l'herbe tendre, sa tête contre le flanc chaud de sa monture.
Réchauffé par le feu, parfaitement installé, il rabaissa la visière de son armet, et s'endormit, encore tout armuré.

Un instant après, il sentit un léger coup à la tête, comme une petite bourrade.
Alourdi par une surprenante apathie, il ne réagit pas.
Quelques secondes plus tard, un hennissement impatient se fit entendre.
Il ouvrit les yeux.
Le soleil avait reprit son règne de lumière, sa lueur dorée embellissait de reflets éclatants la végétation et transformaient les milliers de spores dispersées dans l'air en poussière d'or voletant telles de petites fées.
Il s'apprêtait à se lever, quand il entendit le cri perçant d'un aigle.
L'épéiste leva la tête vers les cieux, et y perçut une forme noire dessiner des cercles dans l'immensité bleue d'un ciel d'été, océan cyan peuplé d'un poisson, unique, solitaire.
Il se redressa, s'asseyant contre le flanc de son destrier pour recevoir le messager ailé.
Celui-ci descendit vers le vagabond, poussant à nouveau son cri de chasseur.
Quelric plaça son bras ainsi qu'on le lui avait appris, pour recevoir les rapaces, bras tendu, coude fléchi pour que l'oiseau puisse le regarder droit dans les yeux.
Celui-ci s'approcha. Un battement d'aile, pour ralentir, il se posa sur le gantelet de chevalier. Majestueux rapace à l’œil vif et perçant, la patte acérée, son ramage orangé, évoquait la splendeur de bronze et d'or de l'aurore naissante dans le matin. L'aigle le regardait fixement, comme s'il tentait de reconnaître un visage familier à travers le heaume d'acier resplendissant.
Aile-D'Aube.
Le messager d'Artaen.
Le chevalier donna un coup d’œil à sa patte acérée, et n'y fut pas surpris d'un trouver un message finement roulé, accroché par une faible nœud aux serres de l'aigle.
Il le défit à une main, tout en prenant bien soin de ne pas brusquer l'oiseau, d'une beauté impériale. Une fois le message ôté, celui-là pencha la tête à gauche, puis à droite, avant de s'envoler, repartant à tire-d'aile auprès de son maître, non sans pousser une ultime fois son cri strident.
Le chevalier tourna la tête vers son destrier, et tapota deux fois ses côtés charnus. Le cheval se leva précipitamment son cavalier l'imitant.
Ce dernier saisit du sac de vivres qu'il accrocha à la selle de cuir.
Mettant le pied droit à l'étrier, et il se hissa sur sa monture, à qui il fit signe d'avancer. Légèrement ballotté par la marche de son fidèle compagnon, il lu enfin la lettre. Écrite à l'encre noire, de la main du Haut-Maréchal dont la signature fermait la parade de mots.
« Quelric.
Une missive est en ce moment en chemin vers Lordas, qui, comme vous le savez sûrement, est le siège du roi Lansfeld.
Je lui fait savoir par ledit message que je paie ma dette envers lui en lui offrant une aide plus que considérable, et qui, je l'espère, renversera le cours de cette guerre meurtrissant depuis trop d'années ses terres. Montrez-vous digne de la confiance que j'ai mise en vous, et tâchez de gagner la sienne, tout comme ce conflit.
Ne me décevez pas, chevalier. Les conséquences d'un tel échec me seraient regrettables et vous n'osez pas vous figurer à quel point elles vous porteraient préjudice. »
Au fond de lui, Quelric savait qu'il n'y aurait aucun préjudice, en cas d'échec.
Pour la simple raison qu'il n'y aurait pas d'échecs !
Il talonna violemment sa monture, et, avant que celle-ci ne parte au galop, rangea la lettre dans la sacoche accrochée à sa ceinture.
Saisissant les rennes, et s'y cramponnant fermement, il se courba en avant, tandis que Tonnrr s'élançait à une vitesse stupéfiante. Le clapotis de la marche se mua en un furieux roulement de tambours, la partition énergique de la galopade pour un orchestre de quatre sabots, durs comme la roche.
Le ciel dégagé semblait encourager le monde entier à s'éveiller pour accueillir un héros, et ses galvanisations bleues étaient encore renforcées par le chant du soleil, clairement audible et illuminant d'une lumière d'or tout un monde ne demandant qu'a être parcourue. A cette demande, cette supplication resplendissante, le chevalier allait répondre « oui ».

Le crépitement métallisé ne décroît pas, pas plus que les sons de giclade émanant de certains trous.
Le crin du cheval s'est alourdi, et ce dernier ne se privait pas d'éprouver son mécontentement, soufflant et maugréant.
Gris.
Gris les nuages, le ciel...
Brune l'eau boueuse, dont les refuges, petites flaques creusées par le temps, étaient régulièrement assailles par les sabots impitoyables du cheval.
L'eau ruisselle sur son armure, s'infiltre entre les mailles de son haubert, s'écrase sur son casque et fait naître un millier de petits claquements métalliques, elle trempe son tabard et mouille sa peau...
L'averse ne veut pas décroître.
Le crépuscule mordait déjà le jour, et les ténèbres grisâtres occupaient déjà les environs.
Dans cette brume opaque, le chevalier cru apercevoir un point de lumière, unique, seul dans une noirceur grise.
Il s'avança et, dans ce gris, se découpait progressivement une forme noire, bientôt silhouette...
Non, pas une, mais quatre silhouettes.
Les silhouettes devinrent soldats, armés de piques et armurés de brigandines et de cottes de mailles.
Visages patibulaires, regards mornes, usés par la pluie, la nuit et la fatigue.
La lueur informe devint une lanterne, accrochée à un poteau, lampadaire rudimentaire pour une troupe de gardes abattus et frustrés.
Un soldat fit un pas en avant et dressa sa main en barrage.
- Halte ! S'exclama t-il d'une voix forte.
Grelottant, le froid humide et mordant l'agressant, l'épéiste fronça le sourcils.
- Il me faut continuer.
- Mais cela n'arrivera pas, messire chevalier. Nul ne passe.
- Pourquoi ?
- On a fermé la frontière: la guerre. Elle fait rage, monseigneur.
Nul ne l'avait jamais appelé ainsi... « Messire », « Monseigneur ».
Jamais on ne lui avait porté une telle attention, une telle estime, et ce si spontanément.
- Il faut que je passe. C'est impératif. Mon devoir m'envoie à Lordas.
- Lordas ?
L'épéiste acquiesça.
- Quel devoir ?
- Je suis envoyé par le Haut-Maréchal de la Confrérie des Epéistes, je dois voir votre roi.
Le soldat éclata d'un rire railleur.
- Pensez-vous un seul instant que vous allez y parvenir ? Quelle que soit votre devoir, nul ne passe la frontière.
- Je suis seul. Je ne peut vous causer aucun dommage, mais je peux combattre à vos côtés. Nous sommes du même bord.
Le soldat recula d'un pas, et réfléchit. Il semblait peser le pour et le contre.
- Soit.
Le pour l'emportait.
- Je vous remercie.
- Vous pouvez... Mettez pied-à-terre.
Le chevalier s'exécuta. La boue éclaboussa ses bottes quand celles-ci frappèrent le sol.
- Moi et un de mes hommes allons vous escorter jusqu'à Farichen, c'est le village le plus proche d'ici, ensuite, on vous laissera. Seul.
- Bien.
- Tarel ! Lança t-il à un piquier assit sur une souche. Par ici, on va accompagner sire l'épéiste !
Le garde désigné se leva, et emboîta le pas à celui que Quelric supposait être le capitaine de la troupe, et qui partait vers le village, suivit du chevalier et de sa monture.
Marchant dans la boue, criblés par une averse redoutable, les trois hommes marchèrent sans un bruit, vers Farichen.
Quelques dizaines d’habitations, une grange et surtout une auberge constituait ce petit village frontalier.
- Nous allons à la taverne. Expliqua le chef à l'épéiste. Nous avons aussi quelques affaires à y régler comme... Nous nourrir, nous et les autres.
Chevalier et soldat acquiescèrent.
- Pour votre cheval, il y a un abri près de l'auberge.. Tarel va l'y emmener, et il nous rejoindra à la taverne. D'accord ?
- J'y vais. Répondit avec empressement le soldat, qui mena Tonnerre par la bride.
Alors qu'il passa à côté de lui, le chevalier lui caressa sa robe ruisselante d'eau, comme pour le rassurer, puis chevalier et garde poursuivirent leur route vers la taverne, et ce fut avec un grand soulagement qu'ils y parvinrent.
Sans être remplie d'éclats de rire ou de chansons, la simple chaleur émanant de la cheminée réconfortait les hommes, gelés par le froid glaçant.
L'aubergiste les salua.
- Bonsoir ! Lança t-il. Un plaisir de vous voir, sergent !
- Le plaisir est partagé. Répondit le chef.
Les trois hommes s'approchèrent du comptoir. Le garde interpellé s'y accouda et serra énergiquement la main calleuse du tavernier.
Le visage rougeaud et potelé, l'homme en embonpoint semblait avoir les joues gonflées.
- Que puis-je pour vous ?
- Quatre bières dans des chopes à clapets, et un repas pour quatre garde affamés dans la pluie et le froid. Dit-il d'une voix sèche, et se voulant intimidante.
- Bien... Je vous l'offre pour l'armée qui nous tient en vie. Bredouilla l'aubergiste avec une voix tremblotante, teintée de frayeur.
- Merci, patriote ! S'exclama le chef en lui posant la main sur l'épaule, plus fier de sa prestation que du soit-disant "amour de la patrie de l'aubergiste."
- Je vous en prie, ça me fait plaisir. Répondit-il avec un sourire pincé.
Le tavernier héla sa femme, aux cuisines, et lui transmit la commande des soldats, tandis qu'il servait les quatre pintes.
Alors que le soldat rentrait dans l'établissement, le sergent tandis une main à l'épéiste, qui la serra sans grande conviction.
- Adieu, messire. Lança t-il avec une pointe d'ironie dans la voix.
- Je vous remercie pour m'avoir fait passer la frontière.
Le chef dégagea sa main, et saisit les chopes qu'on avait posées sur le comptoir, tandis que le soldat prenait des mains un plateau couvert qu'apportait une petite femme presque aussi rondouillarde que son mari.
Le tavernier suivit du regard les deux hommes qui passèrent les portes.
- Soldats de malheur... Se croire tout permis parce qu'on a une pique et une dague... Ca ne fait pas de vous un homme, et ça ne vous donne pas droit au respect...
Il jeta un regard inquiet à l'épéiste muet, pressentant de douloureuses réprimandes de sa part.
- Monseigneur, je craint de vous avoir... Ignoré, je... Balbutia l'aubergiste. Ne m'en tenez pas rigueur je vous prie...
- Telle n'était pas mon intention.
- Vraiment ? Demanda t-il, intrigué.
- Je puis vous l'assurer.
Le tavernier gratta son crâne chauve, et débita avec difficulté.
- C'est... Un soulagement. Mais.... Que puis-je pour vous ?
- Je prendrai simplement une chambre.
- Bien... Ce ne sera sûrement pas à la hauteur de votre rang... Lâcha l'aubergiste, peu confiant.
- J'ai pour habitude de dormir dehors. Un simple lit, même mité, me conviendra parfaitement.
Le tavernier semblait profondément étonné. Les yeux écarquillés, le regard allant de droite à gauche, il cligna des sourcils, avant de dire.
- Je vous en prie, laissez-moi vous l'offrir, je...
- Je payerai. J'insiste.
L'étonnement se mua en une grande satisfaction, teinté d'un brin d'espoir.
- En ce cas, il vous en coûtera vingt sous.
Quelric porta sa main à sa bourse et l'ouvrit, avant d'en sortir une par une les pièces qui payeraient sa chambre, et qu'il déposa dans la paume tendue du taverrnier.
- Un noble honnête. En voilà une surprise.
- Je ne suis pas un noble.
- N'est-ce pas un blason sur votre tabard ?
- Je fait partie d'une guilde, mais je ne suis pas un noble.
- N'êtes-vous pas chevalier ?
- Je le suis.
- Les chevaliers sont des nobles. Les nobles sont hautains.
- Les chevaliers sont hautains ?
- Ils sont bien pire, je dois l'avouer.
Quelric posa ses mains sur le comptoir, et demanda :
- Les chevaliers sont sensés protéger et servir, avec honneur et dévouement. Pour des causes justes.
- Alors vous venez d'une contrée où il fait, ma foi, bon vivre. Ici, ce sont de pseudo-nobles fils de seigneurs, arrogants et imbus de leur personne. Médiocre, insupportables et vaniteux, giflant et frappant quand quelque chose n'est pas à leur goût, réclamant des dû qu'ils ne méritent pas, et demandant de la reconnaissance alors qu'ils n'en valent aucune. Non, messire, ces gens-là ne sont pas nobles. Non, il ne sont pas braves. Ils sont lâches.
Quelric hocha lentement la tête.
- Bonne nuit, tavernier. Merci pour votre franchise.
Avant que l'aubergiste ne puisse répondre, l'épéiste lui tourna le dos, et s'en fut à l'étage.
Il poussa la porte de sa chambre, et entra dans une pièce minuscule et faiblement éclairée par une simple chandelle. Un matelas couvert d'un édredon était posé à même le sol. Il ôta heaume, pièces d'armure et cotte de maille, ne gardant que sa tunique matelassée.
Il se glissa dans sa couche, et s'emmitoufla dans les chaudes couvertures.
Le sommeil ne tarda pas à le gagner.

Le clocher le réveilla vers six heures de l'ascendant. Il renfila son équipement, ce qui prit une bonne demi-heure, puis descendit dans la salle, vide. Il ne s'arrêta pas plus longtemps, la traversa d'un pas rapide et sortit de la taverne.
Le chevalier se dirigea vers l'abri où se trouvait sa monture.
Celle-ci poussa un hennissement ravi en voyant son maître lui revenir, et elle se pressa auprès de lui, pour lui asséner une bourrade à l'épaule. L'épéiste caressa sa crinière d'un geste fugace, puis se mit en selle.
A peine avait-il dépassé la taverne que l'aubergiste en sortait, une miche de pain coupée dans la longueur dans sa main.
Entre les deux moitiés étaient fourrées de fines tranches de lard. Il la tendit à l'épéiste.
- Tenez, c'est pour vous. Lui dit-il.
Le chevalier prit le plat improvisé en remerciant l'aubergiste pour sa générosité.
- Un pain garni... Expliqua t-il. Nous aurions besoin de plus d'hommes comme vous.
Nullement flatté, l'épéiste hocha la tête, et demanda à l'aubergiste :
- Sauriez-vous comment rejoindre la capitale ?
- Bien sûr ! Voyez donc cette cité à l'horizon? Dit-il en pointant du doigt une grande masse noire à l'Ouest, d'une stature imposante, elle en dominait les alentours, car apparemment montée sur une colline.
- En effet.
- C'est Lordas. Une citadelle imprenable, d'après ce que me disent les voyageurs, bien que je n'y soit personnellement jamais allé. Il vous faudra passer par la forteresse de Kerdiv, en remontant la Grande Route. Il y a nombre villages sur votre chemin, car cette route est d'une importance capitale : Elle est la seule qui relie les quatre coins du royaume, et qui donne vers d'autres grandes routes commerciales extérieures. C'est l'axe principal pour tout les marchands du royaume. Cependant, prenez garde : Un voyageur seul est une proie facile pour certains...
- Je ne suis pas une proie facile. Assura le chevalier.
- Je n'en doute point, messire. Accorda l'aubergiste avec un large sourire.
- Merci pour votre aide, et adieu.
- J'espère vous revoir un jour.
Pour toute réponse, le chevalier partit au galop, de nouveau sur la route, mais celle-ci avait à présent un nom : La Grande Route.
Il dépassa rapidement les chaumières, puis les champs, et se retrouva dans la campagne. La nature témoignait encore de l'averse des derniers jours, les flaques étaient nombreuses, la végétation ruisselante d'eau, et les gastéropodes régnaient sur les environs.
Il poursuivirent leur route durant deux heures, le temps que le cheval ne montre des signes de fatigue, alors le chevalier desserra l'étau que ses jambes formaient autour des flancs de sa monture, signe pour elle de ralentir. Le destrier accepta avec joie, et se mit à marcher au pas.
Bientôt, sur la route, se distinguèrent quelques silhouettes humaines...
De manière incompréhensible, Tonnerre se mit à renâcler, et s'ébrouait régulièrement en poussant de petits hennissements peu rassurés.
Le chevalier lui même avait une certaine intuition...
Il avait toujours senti le danger avant que celui-ci ne se montre, et son instinct lui chuchotait de prendre ses précautions.
Lui qui ne l'avait jamais trahi, il décida de l'écouter, et mit pied à terre pour murmurer à sa monture:
- Fais demi-tour. En cas de problème, tu reviens, sinon, attends que je t'appelle. D'accord ?
L'étalon renifla bruyamment pour signifier sa négation... Il n'aimait pas voir son maître le tenir à l'écart du danger, alors que lui-même fonçait droit dedans. Il avait toujours eu le sentiment de l’abandonner.
- Fais-le et je t'offrirai une pomme.
Argument imparable, le destrier fit volte-face et s'en alla.
- Morfale... Soupira le chevalier, désespéré par l'attitude de sa monture.
Il se tourna vers les silhouettes, qui s'étaient avancées.
Il passa la main dans son dos et passa son avant bras dans l’anse de cuir de son écu, avant de le décrocher du harnais qui le maintenait.
Un rapide coup d'oeil à son fourreau...
Il était à la parfaite hauteur : Un simple geste suffirait à dégainer sa lame.
Ses sens en alerte, il s'avança.
Les silhouettes commencèrent progressivement à se dévoiler... Et le murmure de son intuition de guerrier se mua en un véritable hurlement tandis qu'il découvrait les inconnus.
Leurs visages couverts de terre et de cicatrices, de large sourire révélant leurs chicots pourris et se mariant parfaitement avec leurs regards avides et malveillants, ils étaient équipés d'épées longues, de targes et de lances. L'un d'entre eux arborait un arc court, tandis qu'un autre laissait son épaule supporter le poids d'une redoutable hache de bûcheron au tranchant affûté. Leurs vêtements se limitaient à de tuniques de cuir mitées ou de cottes de mailles en haillons.
A quelques cinq mètres du chevalier, il s'arrêtèrent. L'homme à la hache s'avança cependant.
- Salutations, noble sire. Nargua t-il en exécutant une révérence exagérée qui eut le mérite de faire sourire ses compères.
L'épéiste resta de glace.
- Moi et mes compagnons d'infortune avons étés dépouillés par de vils brigands, aussi, dans un élan de générosité de votre part, nous vous demandons humblement de bien vouloir nous donner quelques sous pour subsister jusqu'à la prochaine aumône. Dit-il avec un sourire aussi large que sardonique, en tentant de rendre intimidante sa prestation pitoyable, mais néanmoins amusante.
Derrières lui, ses comparses s'étranglaient de rire, ayant du mal à retenir leur hilarité devant leur chef.
- Bandit ou déserteurs ? Demanda simplement Quelric.
- Déserteurs. Grogna le chef, soudain agressif car piqué au vif.
- Dommage pour vous en ce cas.
- Pourquoi donc ?
- Je n'ai aucune pitié pour les lâches
Les exclamations amusées et provocatrices des anciens soldats montrèrent qu'ils ne prenaient pas le moins du monde au sérieux leur futur adversaire...
Grave erreur de leur part.
- Et qu'allez-vous faire, messire molles-burnes ? On est dix, et t'es seul. Allez, sois gentil : File nous ce que t'as et il n'y aura pas d'effusions de sang.
- Vous voulez mes armes ?
- Affirmatif !
- Alors venez rendre compte de leur qualité. Invita l'épéiste sans daigner faire le moindre geste.
Le bandit leva sa hache et l’abattit sur le chevalier.
L'armure fut traversée comme du beurre par la lame acérée, et le cou de l'épéiste fut largement entaillé, une de ses artères étaient perforée. Il se vidait de son sang sur le sol, implorant la pitié de ses ennemis...
C'est ce qui aurait dû se passer.
La lame fut stoppée par le métal du bouclier.
La consternation de l'attaquant fut encore accrue lorsqu'il sentit une forme effilée le pénétrer, et jaillir de son dos, en une violente et sanglante giclée.
Il lâcha son arme, et pu voir les deux yeux bleus azur de son assassin, à travers les fentes de son armet d'acier.
Le chef tomba à genoux.
Un pied botté se posa sur sa poitrine, et la poussa en arrière. La lame s'extirpa de son abdomen, déchirant ses entrailles.
Quelric se remit en garde, et para de sa lame un coup vertical. Il asséna un puissant coup de bouclier qui estomaqua son adversaire et le força à reculer, avant de lui arracher la gorge d'un revers de sa lame. Gargouillant dans un liquide chaud et écarlate, il s'effondra.
Deux ennemis se jetèrent sur lui, l'un tentant de le décapiter de sa hachette, et l'autre de l'empaler sur sa pique.
Il choisit de bloquer le piquier.
L'estoc fulgurant échoua en rencontrant l'écu de l'épéiste, qui se décala pour se placer à la droite de son assaillant. La lame fusa, mortelle. Une tête vola dans les airs, autant portée par la violence du choc que par le geyser de sang qui s'échappait du cou débité.
Son deuxième ennemi se jeta sur lui, mais son ardeur fut rapidement stoppée par une imposante masse de métal qui le jeta à terre en lui brisant côtes et dents, le mettant hors-combat.
Quelric se retourna, et prit au dépourvu un ennemi qui pensait pouvoir le surprendre. Il porta un coup de taille qui déchira sa cotte de maille, ainsi que son abdomen, et fit tomber un morceau de tripe du ventre ouvert dans les grandes largeurs.
Le chevalier sentit une main s'appuyer sur son épaule...
Il pivota, et esquiva la lame qui fusait vers sa tête dans un estoc meurtrier, avant de saisir le haut du crâne de son adversaire de sa main gauche, pour l'empaler violemment. L’œil et la cervelle traversée par l'acier, le bandit s'effondra tandis que l'épée s'extirpait de son crâne ensanglanté.
Claquement sec, sifflement aigu...
Il se retourna, et dévia la flèche qui lui était destinée.
Comprenant qu'il n'avait strictement aucune chance avec son arc, le bandit dégaina sa lame et se jeta sur le chevalier.
Il n'aurait pas plus de chances avec son épée.
Le bouclier le projeta en arrière. Il se retrouva brutalement plaqué au sol. Avant d'avoir pu émettre la moindre contestation, une lame perfora son menton ainsi que son crâne, et ressortit presque instantanément, laissant son hémoglobine s'écouler à gros bouillons de la terrible plaie.
L'épéiste se releva, et alla achever son adversaire encore en vie. Celui-ci mourut dans un léger râle quand l'épée lui perfora la poitrine et le poumon droit.
Quelric déchira un pan de la tunique d'un défunt ennemi, et s'en servit pour essuyer sa lame couverte de sang, puis la rengaina, avant de ranger son bouclier.
Il ouvrit légèrement sa visière et utilisa ses index et ses majeurs pour émettre un sifflement fort et aigu.
Quelques secondes plus tard, il vit son cheval revenir au galop vers lui.
Enjambant les cadavres, il s'arrêta près de son maître, et lui quémanda sa récompense en renâclant.
L'épéiste sortit une pomme du sac de toile attaché à la selle, et l'offrit à sa monture, qui, ravie, la dévora en quelques coups de dents... Et laissa choir à terre un trognon.
- Chose promise, chose due. Dit le chevalier en caressant sa monture.
Puis il se hissa sur celle-ci, et tout deux repartirent vers l'Ouest, en direction de Lordas, laissant derrière eux les cadavres encore chauds de leur premières victimes depuis le début de cette aventure... Et sûrement pas les dernières.